Résultats du bac 2016 à la Réunion | RICHARD BOUHET / AFP

Henda Touré n’en revient toujours pas. Grâce à son bac pro décroché avec 13,4/20 de moyenne, elle vient d’obtenir une place en BTS « comptabilité et gestion ». La jeune fille de 18 ans fait partie des 10 000 jeunes contactés via le portail Admission post-bac (APB) au lendemain du bac pour participer au dispositif « meilleurs bacheliers ». Mis en place en 2014, il permet aux 10 % de bacheliers de chaque lycée qui ont obtenu les meilleurs résultats au bac mais n’ont pas décroché leur premier vœu d’orientation, ni une place en BTS, en DUT, en classe prépa, etc., d’avoir une place dans une filière sélective.

Après avoir confirmé leur volonté de participer à ce dispositif, ils pourront prétendre à l’une des formations sélectives qui leur seront proposées, jusqu’à la fin de l’été. Sans cette place en BTS, Henda Touré pensait tout simplement abandonner l’idée de poursuivre ses études, pour travailler. « Je criais partout quand j’ai appris que j’avais cette chance supplémentaire », raconte-t-elle.

En septembre 2015, Dounyazade Douah a, elle, intégré Sciences Po Strabourg. La jeune fille originaire de Mulhouse n’avait pas réussi le concours, mais son 19,2/20 au bac lui a permis de passer par cette nouvelle porte d’entrée.

Lutter contre l’autocensure

Instauré par la loi Fioraso sur l’enseignement supérieur votée en juillet 2013, ce dispositif vise à promouvoir le mérite et à lutter contre l’autocensure. En 2015, ce sont 1 800 jeunes – sur les 15 000 contactés – qui ont finalement profité de ce sésame supplémentaire vers un BTS, un DUT ou une prépa, pour la plupart, ou vers une école (Institut d’études politiques, école d’ingénieurs, etc.). Chaque établissement sélectif public doit réserver au moins une place à ces bacheliers rattrapés par leur succès au bac. « Le résultat est là, estime Patrick Weil, spécialiste de l’histoire des politiques d’immigration et de la nationalité, à l’origine de cette mesure. Un bachelier a désormais sa chance, où qu’il soit, d’accéder à une filière de son choix. »

Le directeur de recherche au CNRS espère cependant aller plus loin contre l’autocensure des jeunes. « La ministre a décidé d’appliquer le dispositif au sein d’APB. Dans ce cadre, les lycéens émettent un certain nombre de vœux. On sait bien que ces choix sont fortement liés au milieu familial et social. Pour certains jeunes, il est inimaginable de cocher des prépas, encore moins les plus prestigieuses comme Louis-le-Grand ou Henri-IV, alors qu’ils en auraient le niveau ! Il faut absolument développer une sensibilisation et un accompagnement actif des lycéens au moins dès la 2de, pour les informer et les encourager à viser toujours plus haut, s’ils le désirent », espère-t-il.

L’université mise de côté

Une mesure qui ne fait cependant pas l’unanimité. L’absence de l’université parmi les filières proposées à ces excellents bacheliers fait grincer des dents, en instaurant de facto une hiérarchie au détriment des cursus universitaires. « Il n’est pas normal d’accroître ainsi l’idée que les bons élèves doivent aller en filière sélective, plutôt qu’à l’université », déplore Jean-Loup Salzmann, à la tête de la conférence des présidents d’université.

Les présidents ont défendu l’ajout de leurs filières sous tension dans le dispositif – c’est-à-dire ces licences « à capacité limitée » où la demande n’est pas toujours satisfaite, faute de places suffisantes, comme en Staps, en psychologie ou encore en droit et en médecine. Mais les députés ont retoqué l’article de la loi « égalité et citoyenneté » qui instaurait cet élargissement. Les principales organisations étudiantes y étaient elles aussi opposées, dénonçant l’introduction d’une forme de sélection à l’université.

« Il faut arrêter avec cette question qui relève du gauchisme de salon, s’énerve Patrick Weil. Les filières sélectives sont là, personne ne les supprime, au contraire, même. Le problème auquel s’attaque ce dispositif est simple : pourquoi seuls les enfants d’un certain nombre de lycées auraient accès aux filières sélectives et pas les autres ? 7 % des lycées n’envoyaient jusqu’ici aucun jeune en prépa et beaucoup plus encore un très petit pourcentage. Est-ce normal ? Non. »

Quid de la démocratisation ?

Reste à connaître l’efficacité de ce dispositif brandi comme l’un des ingrédients de la politique du gouvernement en faveur de la démocratisation du système. Il n’existe pas encore d’étude sur son impact dans l’enseignement supérieur, ni même concernant le profil des jeunes qui saisissent cette chance supplémentaire.

« Cela aurait plus de sens si le dispositif était lié au profil social des bacheliers, avec un accompagnement tout au long de l’année de terminale », glisse Pierre Mathiot, nommé il y a quelques mois délégué ministériel aux parcours d’excellence par Najat Vallaud-Belkacem. Le projet de loi « égalité et citoyenneté » prévoyait justement une priorité pour les élèves boursiers parmi ces meilleurs bacheliers, mais l’idée n’a pas été retenue.

« Ce n’est pas de la discrimination positive, c’est une mesure d’égalité, se défend Patrick Weil. Mais elle n’a pas la prétention de résoudre tous les problèmes du système éducatif. » Et le ministère le reconnaît volontiers : le dispositif ne touche même pas 1 % des 600 000 bacheliers qui s’orientent chaque année dans l’enseignement supérieur. « C’est avant tout symbolique », souligne-t-on rue de Grenelle. Un symbole qui a son importance, au pays du mérite républicain.