Patrick Weil : « Il était temps que la France ouvre les filières sélectives à tous les bacheliers »
Patrick Weil : « Il était temps que la France ouvre les filières sélectives à tous les bacheliers »
Par Camille Stromboni
L’historien Patrick Weil a inspiré le dispositif Meilleurs Bacheliers, qui permet aux 10 % de jeunes de chaque lycée ayant obtenu les meilleures notes au bac d’avoir une porte d’entrée supplémentaire vers les filières sélectives (BTS, DUT, prépas).
Les 10 % de meilleurs bacheliers de chaque lycée ont désormais un accès garanti aux filières sélectives. | CHARLY TRIBALLEAU / AFP
Les 10 % de bacheliers qui ont obtenu les meilleurs résultats au bac, mais qui n’ont pas eu leur premier vœu sur APB, ni une place en filière sélective, se voient actuellement proposer des places dans les filières sélectives de l’enseignement supérieur, grâce au dispositif Meilleurs Bacheliers.
Quel bilan tirez-vous du dispositif Meilleurs Bacheliers, trois ans après son lancement ?
Je salue tout d’abord la forte impulsion donnée par la ministre de l’éducation nationale actuelle, Najat Vallaud-Belkacem. Le dispositif Meilleurs Bacheliers a été voté par les parlementaires, contre l’avis des ministres précédents, Vincent Peillon et Geneviève Fioraso. Et l’on sait que les effets d’une loi tiennent beaucoup à la manière dont le gouvernement veille à sa mise en œuvre.
Ensuite, le résultat est là : 1 800 bacheliers en ont bénéficié l’an dernier, voyant leur vœu dans une filière sélective (BTS, DUT, prépa, école publique post-bac) exaucé, alors qu’il ne l’aurait pas été sinon. Ce chiffre devrait augmenter, car j’ai le sentiment que la mesure est populaire, et de mieux en mieux connue par les principaux intéressés : les lycéens et leur famille.
Vous mettez tout de même un bémol à ce constat favorable…
Des améliorations sont encore nécessaires. La ministre a décidé d’appliquer ce dispositif au sein de la procédure APB. Dans ce cadre, les lycéens émettent un certain nombre de vœux. On sait bien que ces choix sont fortement liés au milieu familial et social. Pour certains jeunes, il est inimaginable de cocher des prépas, encore moins les plus prestigieuses comme Louis-le-Grand ou Henri-IV, alors qu’ils en auraient le niveau !
Cela signifie que le phénomène d’autocensure subsiste. Il faut absolument développer une sensibilisation et un accompagnement actif des lycéens au moins dès la classe de 2de, pour les informer et les encourager à viser toujours plus haut, s’ils le désirent.
Autre problème : si un bachelier est déjà pris par la procédure APB, dans une filière qu’il a demandée, il ne sera pas concerné par le dispositif. Par exemple, celui qui a obtenu une place en prépa, mais dans celle de son dernier choix, ne pourra plus prétendre accéder à une autre prépa qui figurait dans ses premiers choix. C’est une restriction que les proviseurs des grands lycées parisiens ont réussi à obtenir cette année et qu’il faudra lever.
L’université est la seule filière qui n’est pas proposée à ces excellents bacheliers. N’est-ce pas problématique ?
Il faut arrêter avec cette question, qui relève du gauchisme de salon : d’abord, ils ont accès à l’université qui accueille aussi les meilleurs ! Ensuite, les filières sélectives, elles sont là, personne ne les supprime, au contraire, même l’université parfois souhaite devenir sélective.
Le problème auquel s’attaque ce dispositif est donc simple : pourquoi seuls les élèves d’un certain nombre de lycées auraient accès aux filières sélectives et pas les autres ? 7 % des lycées n’envoyaient aucun jeune en prépa, et beaucoup plus encore, un très petit pourcentage. Est-ce normal ? Non.
Avec cette mesure de justice, un bachelier a sa chance, où qu’il soit, d’accéder à une filière de son choix, prépa, mais aussi BTS, IUT, IEP (instituts d’études politiques). Cela permet de lutter contre le phénomène d’évitement, avec des familles qui préfèrent mettre leur enfant ailleurs, vidant de facto ces établissements moins favorisés de leurs meilleurs éléments. Créer plus de mixité sociale est une condition incontournable pour qu’il y ait ensuite de la promotion sociale. Sans oublier la dynamique de revalorisation du bac qui en découle.
Patrick Weil, directeur de recherche au CNRS, a inspiré le dispositif Meilleurs Bacheliers, mis en place depuis 2014. | JF Paga-Grasset
Ne manque-il pas un critère social à ce dispositif, pour atteindre l’objectif affiché par le gouvernement de démocratisation du système ? Sachant qu’actuellement, tout bachelier peut y prétendre.
Précisons d’abord que, dans les lycées qui n’avaient pas accès aux filières sélectives, plus de 50 % des meilleurs bacheliers venaient des milieux populaires. Ensuite, s’il bénéficie à d’autres : et alors ? Je dirais même tant mieux pour eux. Cela signifie que le système les avait mal évalués en leur fermant des portes, avec une machinerie APB opaque.
Là, la règle est simple et transparente. On donne un droit aux meilleurs bacheliers, un choix de plus, sur la base d’un critère objectif – plus objectif en tout cas que les dossiers scolaires et les appréciations des enseignants : les résultats au bac. Le critère social n’a pas sa place, ce n’est pas de la discrimination positive, c’est une mesure d’égalité, qui permet de déstabiliser un peu le régime d’entre-soi qui règne dans certaines prépas.
Il n’était pas normal que des filières sélectives, financées sur fonds publics, ne soient pas réellement ouvertes aux bacheliers de tous les lycées. Ni que l’ouverture sociale des grandes écoles n’ait cessé de baisser.
Mais cette mesure n’a pas la prétention de résoudre tous les problèmes du système éducatif. Elle fonctionne très bien aux Etats-Unis, il était temps que la France essaie. Et en deux ans, il y a déjà des effets réels et positifs.