Dans une boutique de souvenirs à Moscou, le 7 novembre. | SERGEI KARPUKHIN / REUTERS

Effondré, Michael McFaul, l’ancien ambassadeur des Etats-Unis bien connu en Russie, a posté ce message sur son compte Twitter : « Poutine est intervenu dans nos élections et a gagné », ajoutant, en russe : « Bien joué. » Comme en écho, l’avocat Ivan Pavlov, qui défend notamment les personnes accusées de « haute trahison » en Russie, écrivait à son tour : « J’ai l’impression que la lutte pour le 45e président des Etats-Unis a été gagnée par Poutine. »

Tôt, mercredi 9 novembre, alors que les résultats définitifs n’étaient pas encore connus, les Russes se sont réveillés avec le sentiment diffus d’avoir été intimement mêlés à l’élection présidentielle américaine.

La violence des débats entre le candidat républicain, Donald Trump, et la candidate démocrate, Hillary Clinton, a trouvé un large écho dans le pays, amplifiée par les soupçons sur « l’ingérence russe » dans l’affaire des échanges électroniques du QG démocrate révélés par de supposés pirates russes, par le biais de WikiLeaks. Vladimir Poutine avait alors ironisé : « L’Amérique est une république bananière ou quoi ? »

« Que la grand-mère Hillary se repose ! »

Sans tarder, le président russe, qui devait recevoir, mercredi, les lettres de créances de dix-neuf ambassadeurs, a envoyé un télégramme de félicitations à Donald Trump. Dans ce message, selon le Kremlin, Vladimir Poutine a exprimé à son nouvel homologue son « espoir de travailler ensemble pour sortir de la crise des relations russo-américaines, ainsi que pour résoudre les questions pressantes de l’agenda international et la recherche de réponses efficaces au défi de la sécurité globale ».

Il a également souligné qu’« un dialogue constructif se créera entre Moscou et Washington basé sur des principes d’égalité ». En 2012, pour la seconde élection de Barack Obama, le chef de l’Etat russe avait attendu vingt-quatre heures avant d’envoyer un télégramme de félicitations.

Depuis, les relations bilatérales entre les deux anciennes puissances de la guerre froide se sont encore dégradées. Et, pour le Kremlin, l’élection d’Hillary Clinton s’inscrivait clairement comme la poursuite de ces tensions. La victoire de Donald Trump lui offre un répit. Mercredi matin, à la Douma, après qu’un élu a annoncé dans l’hémicycle de la Chambre basse du Parlement russe qu’Hillary Clinton avait reconnu sa défaite, les députés ont tout simplement applaudi.

« Longue vie à Donald Trump ! Il sera le prochain président des Etats-Unis », s’exclamait en anglais, avant le scrutin, Vladimir Jirinovski, le chef de file du Parti libéral-démocrate de Russie (LDPR, ultranationaliste), troisième force politique à la Douma, en accusant Mme Clinton d’être « vicieuse » et de ne pas vouloir « la paix au Moyen-Orient et avec la Russie ». « Que la grand-mère Hillary se repose !, s’est-il réjoui, sans délicatesse, mercredi matin à l’annonce des résultats. Nous constatons avec plaisir que le meilleur des deux candidats aux Etats-Unis a gagné. »

Donald Trump reste un inconnu en Russie, à la différence de sa rivale, et faute de visibilité, les observateurs russes les plus avisés s’en tiennent prudemment à quelques poncifs sur un candidat républicain moins agressif et moins belliqueux. Mais après les résultats du Brexit au Royaume-Uni, présentés comme une « victoire » pour le chef de l’Etat russe, le séisme électoral aux Etats-Unis conforte aujourd’hui sa position qui pourrait se résumer en une phrase : tout ce qui affaiblit l’Occident est bon pour la Russie.

« Oligarchie supranationale »

Les à-coups politiques en Europe, comme aux Etats-Unis, sont étudiés de près au Kremlin. « Les élections ont cessé d’être un instrument de changement et [les campagnes] ne sont plus rien d’autre que des scandales sur qui pince qui, qui couche avec qui », avait lancé M. Poutine, le 27 octobre, devant un parterre d’experts étrangers réunis par le Club Valdaï, le premier cercle d’influence russe international.

« Les élites ne voient pas (…) l’érosion de la classe moyenne, poursuivait-il, alors que, dans le même temps, elles implantent des idéologies qui, à mon avis, détruisent l’identité culturelle et nationale. » Pour le chef du Kremlin, la contestation des élites est devenue le signe le plus sûr d’un effondrement de l’Occident, et il en a fait, ici, son nouveau cheval de bataille contre ce qu’il a appelé « l’oligarchie supranationale ».

Au-delà de la personnalité des candidats, c’est tout le système des élections, les médias, et, de façon générale la démocratie elle-même, qui ont le plus pâti des commentaires venimeux des médias proches du Kremlin. « Les élections de nos gouverneurs dans les années 1990 sont un jeu d’enfant par rapport à ce qui se passe aux Etats-Unis », ironisait M. Kisselev. « Democraty RIP », écrivait, mardi soir, Margarita Simonian, chef de Russia Today, le premier réseau média international dépendant du Kremlin.

« Quand les médias et le pouvoir, pendant des années, instaurent des valeurs pour lesquelles la société n’est pas prête, en expliquant au public qu’il est trop encroûté, c’est Trump qui gagne », claironnait-elle le lendemain, mercredi, alors que la victoire du républicain devenait de plus en plus évidente. « Prochaine station : Marine Le Pen en France », commentait au même instant une internaute russe.

Clinton accuse Trump d'être la "marionnette" de Poutine
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