Le premier ministre thaïlandais, Prayuth Chan-ocha, accueilli par des soldats lors d’une visite dans la province de Narathiwat, le 25 juillet 2016. | MADAREE TOHLALA / AFP

La Thaïlande, dirigée depuis deux ans par une junte militaire, s’apprête à voter, le 7 août, dans le cadre d’un référendum sur un projet de Constitution que beaucoup d’opposants au régime jugent ­antidémocratique. Selon ces derniers, en cas de vote favorable, cette nouvelle Constitution permettra aux généraux de s’installer au pouvoir ou, en tout cas, de conserver une emprise quasi totale sur le jeu politique thaïlandais.

Si le oui l’emporte, il leur sera, entre autres, possible de désigner un premier ministre non élu et de nommer tous les membres d’un Sénat dont la moitié étaient encore, jusqu’au coup d’Etat de mai 2014, choisis par le biais du suffrage universel.

Depuis des semaines, le général-premier ministre, Prayuth Chan-ocha, a multiplié les signes d’irritation à l’égard des opposants à ce projet constitutionnel : les manifestations politiques étant interdites depuis le putsch, les rares militants qui ont osé ouvertement faire campagne pour le non au référendum ont été interpellés.

Rare concession

C’est le cas de Rangsiman Rome, 23 ans, un des fondateurs du Mouvement pour la nouvelle démocratie (NDM), l’une des rares organisations qui se risquent à défier publiquement la junte. Interviewé par Le Monde le 8 juillet, cet étudiant en droit sortait tout juste – et ce pour la seconde fois en un an – de douze jours d’incarcération en compagnie de six autres de ses camarades. Son « crime » ? Avoir distribué des tracts incitant à répondre non à la question posée au référendum. Il a beau être libre, les charges qui pèsent contre lui, prononcées par un tribunal militaire, n’ont pas été levées.

Rangsiman Rome estime que « ce n’est pas tant un vote pour ou contre la Constitution qu’un vote pour l’acceptation ou le refus des militaires au pouvoir. Si le oui gagne, les généraux peuvent repousser pour longtemps les élections ».

Le premier ministre et ses collègues du Conseil national pour la paix et l’ordre (NCPO) ont-ils compris qu’ils ne pouvaient pas indéfiniment brider tout débat, même dans un contexte de dictature ? Le chef de gouvernement vient de faire une rare concession à ses opposants : depuis lundi 25 juillet, il est permis au public, aux associations de la société ­civile et même aux partis politiques – au chômage – de débattre publiquement du projet.

« Bombe à retardement »

Les opposants à ce dernier, tous membres des cercles intellectuels et universitaires de Bangkok, n’ont pas tardé à s’enfoncer dans la brèche : dès lundi, lors d’un séminaire organisé dans la très « frondeuse » université Thammasat, les ténors des mouvements prodémocratiques ont contesté le projet constitutionnel dans la forme proposée par un comité ad hoc désigné par les généraux.

Les responsables de l’association Nitirat, qui réunit des professeurs de droit, ont demandé à ce que la junte démissionne si le non l’emportait. Le juriste Worachet Pakeerut a dénoncé le projet constitutionnel, notamment parce qu’il est rédigé de telle manière que la rédaction d’amendements sera « très difficile ». Il a prévenu que cette Constitution serait une « bombe à retardement » qui pourrait mener à de futures violences.

La situation politique reste en effet potentiellement volatile dans une Thaïlande où se sont ­affrontés dans un passé encore récent deux camps : à gauche, les « chemises rouges » prodémocratiques et souvent issus des campagnes, partisans de l’ancien premier ministre Thaksin Shina­watra et de sa sœur Yingluck, qui était à la tête du gouvernement renversé en 2014 ; à droite, les « chemises jaunes », militants « pro-élite » des classes moyennes urbaines, et soutiens inconditionnels de l’alliance entre le palais royal et l’armée.

« Démocratie de façade »

Le putsch a été organisé pour faciliter la transition royale, alors que le règne du roi Bhumibol, 88 ans, arrive à son terme. « Chemises rouges » et opposants à la nouvelle Constitution et à l’armée sont parfois très critiques de l’institution royale, dans cette monarchie constitutionnelle où le souverain a su néanmoins conserver un pré carré politique très étendu.

Le journaliste Pravit Rojanaphruk, du site Prachataï, qui n’hésite pas à braver la censure, avance que, en cas de victoire du oui, « la Thaïlande sera placée sous le signe d’une démocratie de façade. Mais la société a beaucoup changé ces dernières années, et je doute qu’un tel système, d’un autre âge, puisse survivre sans ­résistance ».

La résistance s’organise déjà : il y a quelques jours, la police a inculpé deux petites filles de 8 ans qui avaient osé déchirer des listes électorales avant le référendum. Les deux fillettes ont été laissées en liberté. Lundi, ce fut au tour des singes de jouer les trouble-fête : dans la province de Phichit, au nord de Bangkok, une centaine de macaques ont mis à sac un local où étaient conservées des listes d’électeurs. La junte a décidément de nombreux ennemis.