Devant la mosquée Yahia, à Saint-Etienne-du-Rouvray, le vendredi 29 juillet. | Francois Mori / AP

Editorial du « Monde ». La parole est forte, elle a été prononcée par Manuel Valls : « Comment accepter que l’islam de France reçoive des financements d’un certain nombre de pays étrangers, quels qu’ils soient ? » Ces propos n’ont pas été tenus dans la foulée de l’assassinat du Père Hamel, à Saint-Etienne-du-Rouvray. Non, c’était le 12 février 2015, au Sénat, après les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher.

A chaque attentat, le premier ministre en appelle à un islam de France, affranchi des financements étrangers. En vain. Il ne s’agit pas de mettre en cause la bonne foi du premier ministre, ou de ses prédécesseurs, mais dans cette affaire, si rien n’avance ou si peu, c’est parce que le dossier est des plus complexes.

Pas d’égalité réelle entre cultes musulman et catholique

La France est prise dans ses contradictions. Elle cherche à organiser un islam de France, mais la loi de 1905 de séparation des Eglises et de l’Etat est un texte de facto intangible qui rend l’affaire encore plus inextricable. Interdisant tout financement public des cultes, elle complique le « rattrapage » de l’islam, qui manque de mosquées, même si la situation s’est améliorée, d’imams formés et républicains, et ne parvient pas à s’organiser faute de hiérarchie religieuse.

L’égalité entre les cultes musulman et catholique est donc tout sauf une égalité réelle. Et même si les financements étrangers sont marginaux, ils ont permis de faire l’appoint pour financer et organiser le culte des musulmans en France.

Cette situation n’est pas satisfaisante. Pour en sortir, relancer la Fondation des œuvres de l’islam en France (FOIF), créée sans succès en 2005, est une bonne idée. Cette fondation qui collecterait les fonds nécessaires et permettrait d’assurer la transparence sur les aides étrangères, pourrait, notamment, être financée par les entreprises françaises.

Toutefois, le sujet décisif porte sur le financement et la formation des imams. Seuls 20 % à 30 % d’entre eux sont de nationalité française, 301 imams étant détachés en France et salariés par leur Etat d’origine (30 Marocains, 120 Algériens, 151 Turcs). Bien souvent, ils ne maîtrisent ni la langue ni le contexte socioculturel français. Mais ils sont au moins contrôlés par leur pays d’origine et constituent, selon une récente mission d’information parlementaire, « un palliatif dans l’attente d’imams formés en France ».

Sortir de cet « islam consulaire »

La formation, justement, est le second écueil. L’Etat a un temps envisagé la création d’une faculté de théologie musulmane à Strasbourg (où le concordat le permettrait), mais ce projet n’a jamais été mené à bien.

Résultat, la France abrite deux lieux de formation (l’Institut européen des sciences humaines et l’Institut Al-Ghazali de la Grande Mosquée de Paris), auxquels s’ajoute… l’Institut Mohammed-VI à Rabat, financé par le Maroc. L’accord, qui pallie la faiblesse française, a été scellé lors du voyage de François Hollande en septembre 2015.

Ainsi, la France a le plus grand mal à sortir de cet « islam consulaire », qui permet essentiellement au Maroc, à l’Algérie et à la Turquie de conserver une emprise sur les musulmans de l’Hexagone.

Les jeunes générations de musulmans, français pour l’essentiel, ne veulent plus de ce pis-aller. C’est ce qui explique le discrédit des organisations représentatives des musulmans. Le « pacte » que Manuel Valls veut « bâtir » à juste titre avec l’islam de France ne pourra se faire qu’avec la nouvelle génération. Française et musulmane.