L’adieu au Père Hamel, « un pas considérable » dans le rapprochement entre religions
A Rouen, l’adieu au Père Hamel, « un pas considérable » dans le rapprochement entre religions
Par Cécile Bouanchaud (envoyée spéciale à Rouen)
Des milliers de personnes de toutes confessions se sont rendues à la cérémonie d’obsèques du Père Hamel, à la cathédrale de Rouen, placée sous haute sécurité.
Le cerceuil du Père Jacques Hamel sort de la cathédrale de Rouen, précédé de la croix ornée de l’étole rouge du prêtre, mardi 2 août. | JOEL SAGET / AFP
Sous le ciel capricieux du début du mois d’août, alors que les rues de Rouen sont désertes, une foule aux cheveux grisonnants et à la mine sérieuse converge vers la majestueuse cathédrale gothique de la cité normande. Une semaine jour pour jour après la mort du Père Jacques Hamel, égorgé par deux membres de l’organisation Etat islamique, à Saint-Etienne-du-Rouvray (Seine-Maritime), c’est dans ce monument, le plus prestigieux de la ville, qu’ont été célébrées les obsèques de cet homme décrit par tous comme modeste.
Après la venue de chrétiens pour la prière du vendredi à la mosquée de Saint-Etienne-du-Rouvray, puis la messe de dimanche à la cathédrale de Rouen où étaient conviés les musulmans, le message était une nouvelle fois porté sur la communion interreligieuse. Plus encore, l’archevêque de Rouen, Dominique Lebrun, qui présidait la célébration, a mis l’accent sur l’importance de la paix et de la tolérance, appelant dans un discours sans équivoque à la fraternité entre les différentes communautés religieuses.
« Il a baptisé ma fille »
Dans la foule regroupée sur le parvis de la cathédrale de Rouen, le message semble être entendu : « Il faut porter ce discours de paix et d’espérance. Et ce malgré l’attaque dramatique qui a frappé les catholiques », réagit Josiane, qui était également présente à la messe de dimanche. Et d’ajouter, alors qu’elle se fait fouiller par deux policières : « En cela, la communauté musulmane a posé des gestes forts, j’ai été surprise par leur dignité et leur respect durant la communion de ce week-end. »
A quelques dizaines de mètres, Sandrine, le regard dans le vague, les jambes flageolantes, lutte pour se tenir bien droite devant les fleurs déposées sur le parvis de la cathédrale. Elle désigne le bouquet de roses blanches qu’elle a placé au milieu des dizaines d’autres. Sur le sien, un petit chat noir en bois est collé sur une tige. « C’est un clin d’œil, le Père Hamel avait un chat noir – ça ne lui faisait pas peur – c’est moi qui l’ai récupéré », raconte cette quinquagénaire « agnostique » mais qui connaissait bien Jacques Hamel, en raison de son engagement dans différentes associations de la région rouennaise.
Sous la pluie, des gens attendent devant la cathédrale de Rouen, où se déroulent les obsèques du Père Jacques Hamel, mardi 2 août. | JOEL SAGET / AFP
Il est 13 heures passées, la cérémonie commence dans une heure, et cette employée de mairie ne sait pas si elle aura la force d’affronter l’émotion collective qui l’attend dans la cathédrale. Mais il est déjà trop tard. Depuis quelques minutes, l’édifice, l’un des plus grands de France, et qui peut accueillir 1 700 personnes, est complet. Deux paroissiennes de Saint-Etienne-du-Rouvray se désolent d’avoir fait le déplacement pour rien. « Des gens qui ne vont jamais à la messe sont entrés par curiosité, et nous, qui avons fait de la route, on ne peut pas entrer », lâche Gigi, qui suivra la cérémonie sur l’écran géant, en compagnie de son amie Micheline. « Je connaissais bien le Père Hamel, il a baptisé ma fille, et je le voyais tous les dimanches à la messe », confie cette dernière, qui, trop émue pour en dire plus, se contente de rappeler « c’était un homme simple, un homme bon. »
Les symboles du martyr
14 heures. La cloche sonne une première fois le glas. Derrière un prêtre portant une imposante croix en bois sans ornements, le cercueil du père assassiné, soutenu par quatre porteurs, traverse lentement le parvis devant près d’un millier de personnes s’apprêtant, malgré la pluie, à suivre la retransmission de l’office.
Une fois à l’intérieur, le cercueil porté devant dans la nef gothique est posé sur un tapis, à même le sol, entouré de quatre grands cierges blancs. L’aube du prêtre et son étole rouge – symbole du martyr – ont été posées dessus. Une photo représente Jacques Hamel en costume-cravate, loin de l’image, plus médiatisée, où on le voit, pendant l’un de ses offices. « Nous voici rassemblés comme Jacques Hamel n’aurait pas aimé : dans une église solennelle, avec des personnalités et une foule, devant des caméras… Nous voici aussi comme le père Jacques aurait aimé : se mettre ensemble, communier, en étant attentifs les uns aux autres, sans exclure personne », analyse Dominique Lebrun en déclaration liminaire de la cérémonie.
Une photo du père Jacques Hamel, lors de ses obsèques dans la cathédrale de Rouen, mardi 2 août. | Charly Triballeau / AP
L’engagement envers les autres
Car effectivement, personne n’a été exclu de cette cérémonie : plusieurs personnalités de différents cultes se trouvent aux premiers rangs, comme le président du conseil régional du culte musulman de Haute-Normandie et représentant de la mosquée de Saint-Etienne-du-Rouvray, Mohamed Karabila, ou encore le rabbin Michaël Bitton. Du côté des personnalités politiques, le ministre de l’intérieur, chargé des cultes, Bernard Cazeneuve a pris place aux côtés du président du Conseil constitutionnel et ancien élu de la région, Laurent Fabius, et d’Hervé Morin, le président du conseil régional de Normandie.
Plus discrète, jusque dans son silence avant les funérailles, la famille de Jacques Hamel se trouve également au premier rang, installée non loin des religieuses présentes lors de l’attaque à Saint-Etienne-du-Rouvray et de M. Coponet, grièvement blessé lors de l’attentat. D’un ton calme, la sœur de Jacques Hamel, Roselyne, revient sur une anecdote qui a scellé la foi de son frère alors qu’il était jeune :
« Notre frère, pendant son service militaire en Algérie, a choisi de servir comme simple soldat. (…) Il me confiait qu’au cours d’une fusillade dans une oasis, il avait été le seul survivant et il s’était souvent demandé : pourquoi moi ? Aujourd’hui Jacques, tu as ta réponse : Dieu t’a choisi pour être au service des autres. »
La voix chevrotante, luttant pour retenir ses larmes, Jessica, l’une des nièces du Père Hamel, tient elle à souligner cet engagement envers les autres, qui dépassait largement le cadre de la religion. Pour se donner la force d’avancer sans « la patience et la gentillesse » de son oncle, Jessica repense à un message qu’il lui avait inspiré après les attentats de janvier 2015 :
« Après “Charlie Hebdo”, j’avais posté cette phrase : “Oh mon Dieu, puissions-nous garder tolérance et discernement.” Je ne pensais pas devoir m’appliquer cette phrase avec autant de force et de conviction. »
« Le chemin sera dur »
Un discours de paix repris à plusieurs reprises, notamment par l’archevêque de Rouen, lors de son homélie inspirée, dans laquelle il s’adresse d’abord aux djihadistes : « Vous que la violence diabolique tourmente, vous que la folie meurtrière démoniaque entraîne à tuer. » Dominique Lebrun, selon qui ce « mal est un mystère », appelle à la résistance par la paix, mais convient que « le chemin sera dur » et qu’il ne s’agit pas « d’excuser les assassins, ceux qui pactisent avec le diable ». Il estime surtout que dans ce chemin vers la paix, « les paroles et les gestes nombreux de nos amis musulmans, leur visite sont un pas considérable » Une homélie qui scelle la volonté affichée par les leaders religieux depuis une semaine de renforcer la solidarité entre les confessions.
A 17 heures, alors que sonne une nouvelle fois le glas et que le cercueil quitte la cathédrale sous les applaudissements, escorté par une procession de prêtres, la foule hagarde peine à quitter le parvis. Un groupe de trois amies restera une heure sur la place malgré la fine pluie qui a chassé les plus téméraires. Deux d’entre elles, une chrétienne et une musulmane, ne s’étaient pas vues depuis plusieurs mois. « Il aura fallu cet événement pour que l’on se retrouve », remarque l’une d’elles qui a assisté à toutes les cérémonies depuis l’attentat. « C’est terrible à dire mais peut-être qu’il fallait en arriver là pour réaffirmer avec force les liens entre les communautés religieuses », ajoute son amie, persuadée qu’il y aura « un avant et un après l’attaque de Saint-Etienne-du-Rouvray ».