Des Egyptiens diplômés manifestent, au Caire, le 12 février. | MAHMOUD KHALED / AFP

« Nous ne partirons pas ! » La réponse des jeunes manifestants aux policiers qui les enjoignent de quitter les lieux se veut ferme. Venus de toute l’Egypte, de jeunes diplômés se sont retrouvés ce mercredi 17 février au centre du Caire, la capitale, à quelques pas de la place Tahrir, pour exprimer leur exaspération contre un système qui les exclue.

Devant le conseil des ministres, puis devant le Magless El-Nouab [le conseil des représentants, le parlement égyptien], ils sont des dizaines à scander des slogans qui rappellent ceux de la révolution de 2011 : « Oh liberté où es-tu ? Il y a le ministère entre nous et toi », « Masters et doctorats, nous allons mourir pour notre droit », « Nos revendications ne sont pas que politiques, nous exigeons la légitimité ». En costume cravate ou en sweat-shirt, certains posent devant les journalistes en brandissant leur diplôme. Les divisions se font néanmoins sentir dans les rangs, entre celles et ceux qui se résignent à partir et d’autres qui maintiennent fermement leur banderole.

« Liberté et justice sociale »

A l’origine de cette mobilisation, l’organisation Attal Bedaraga Majister (Chômeurs en niveau master, en arabe) créée il y a huit mois. « Le but de notre mouvement est de combattre le nouveau système qui attribue des postes dans les centres de recherches à n’importe quel jeune ayant des relations haut placées », explique l’un des fondateurs, Sabry Kassem, docteur en droit. Anxieux, il sait que la police le surveille. Son discours n’en est pas moins limpide : « On nous présente comme des frères musulmans [mouvement politique d’opposition inscrit sur la liste des organisations terroristes en Egypte] pour nous discréditer. Mais nous ne demandons que la liberté et la justice sociale », poursuit-il.

L’objet de la colère de tous ces jeunes réside principalement dans la loi n°18 de 2015, qui s’inscrit dans un plan de réforme de l’administration lancé en juillet 2014 par le président égyptien Abdel Fattah Al-Sisi. Cette loi supprime, en substance, la priorité jadis donnée aux diplômés pour les places en centre de recherche universitaire ou dans la fonction publique.

L’air affable, Ahmed Nasser, docteur en droit, ne cache plus sa colère et son ton monte lorsqu’il évoque son parcours : « J’ai passé 24 ans à étudier mais je n’aurai aucune chance de décrocher un poste dans la fonction publique parce que je n’ai pas de relation. L’Etat a investi dans notre formation, mais il nous refuse l’opportunité de contribuer au développement du pays. » Etudiante en économie à Mansourah, au nord du pays, Hanan Ibrahim a fait le voyage pour exposer elle aussi au gouvernement et aux députés cette même forme de désolation : « On nous dit que l’administration n’a plus de moyens. Pourtant, des jeunes bacheliers et des titulaires de licence trouvent des postes. C’est comme si on nous enlevait notre dignité. »

Acteurs majeurs de la révolution de 2011, les jeunes chômeurs diplômés attisent la méfiance des autorités. Lors d’une allocution devant le parlement, le 13 février, le président Abdel Fatah Al-Sisi n’a pourtant pas manqué de rendre hommage à la jeunesse du pays, présenté comme la clef du développement futur de l’Egypte. Dans la cafétéria du syndicat des avocats, où les jeunes se sont réunis après la manifestation, Mahmoud Ali, ancien étudiant en langue anglaise, raille le chef de l’Etat qui s’affiche constamment avec des jeunes. « En réalité, la jeunesse est écrasée. Ils disent que nous sommes tous des fils du peuple. Mais il n’y en a que pour les fils de. Moi, je ne veux pas de photo avec le président, je veux un travail », ironise-t-il.

Bardés de diplômes, la plupart de ceux qui manifestent gagnent leur vie, et subviennent souvent aux besoins de leur famille, en portant des briques sur les chantiers ou en vendant des paquets de mouchoirs à la sauvette dans les rues du Caire. Présente aux côtés des manifestants, une mère de famille en appelle à la prise de conscience de chacun : « Pourquoi les envoyer à l’université s’ils doivent finir dans les rues pour réclamer ce qu’ils méritent ? »