L’Inde veut rapatrier ses ressortissants victimes de la crise en Arabie saoudite
L’Inde veut rapatrier ses ressortissants victimes de la crise en Arabie saoudite
Par Julien Bouissou (New Delhi, correspondance)
Sur les 3 millions d’Indiens du royaume, affecté par le ralentissement de l’économie dû à la chute des cours du pétrole, des milliers ont perdu leur emploi
C’est une crise humanitaire inhabituelle à laquelle doit faire face le gouvernement indien : évacuer des milliers de ressortissants au chômage, sans argent et retenus en Arabie saoudite par un système juridique draconien. « Nos travailleurs là-bas ont faim et ont soif, a déclaré lundi 1er août la ministre indienne des affaires étrangères, Sushma Swaraj, devant le Parlement à New Delhi. Nous sommes en contact avec nos représentations diplomatiques et nous leur avons demandé de leur envoyer des vivres gratuitement. »
Après avoir perdu leur travail il y a déjà plusieurs mois, des milliers d’Indiens attendent d’être payés ou d’obtenir simplement leurs passeports, confisqués par leurs employeurs. Quelque 7 700 d’entre eux ont été répartis dans 20 camps pour recevoir de l’aide du gouvernement indien.
En vertu du système de parrainage de la « kafala », les immigrés ne peuvent pas changer de travail ou sortir du pays sans le consentement de leur employeur. Or, les entreprises du royaume, frappées de plein fouet par un ralentissement de l’activité dû à une chute des cours du pétrole, traversent une période difficile et certaines font faillite.
« Si l’employeur n’est plus là, comment obtenir le certificat de “non-opposition” ? », a demandé lundi Mme Swaraj, évoquant ce document nécessaire pour obtenir un visa de sortie du territoire. D’autres attendent de percevoir des arriérés de salaires de plusieurs mois. Près de 3 millions d’Indiens travaillent en Arabie saoudite, dont des ouvriers pour les deux tiers d’entre eux, employés majoritairement sur des chantiers de construction.
« Responsabilité collective »
« Nous avons eu une réunion lundi soir à l’ambassade d’Inde et nous sommes encore en train d’évaluer le nombre de ressortissants en situation de difficulté », explique Amjad Hussain Zubair, le vice-président de l’organisation Golden Telangana Welfare Association, l’une des dizaines d’organisations qui viennent en aide aux membres de la diaspora en Arabie saoudite. C’est à travers elles que la communauté indienne peut faire parvenir des vivres à ceux qui en ont besoin. « De nombreux concitoyens sont dans des situations difficiles, mais dire qu’ils sont affamés est sans doute exagéré », relativise M. Zubair.
« S’ils veulent revenir [chez eux], le gouvernement doit s’assurer de leur retour, a ajouté lundi Mme Swaraj, nous avons une responsabilité collective envers nos citoyens. » L’Inde a annoncé l’envoi sur place, mardi, du secrétaire d’Etat aux affaires étrangères, Vijay Kumar Singh, un ancien général quatre étoiles rompu aux missions sensibles et délicates. Des avions civils ou militaires, voire même des navires, pourraient être affrétés vers le royaume saoudien pour évacuer les travailleurs bloqués.
L’Inde, qui dispose de la plus grande diaspora au monde, a l’habitude de ce genre d’opérations de secours… mais seulement dans les pays en guerre comme l’Irak, le Soudan du Sud ou le Yémen. C’est la première fois qu’elle doit gérer une crise humanitaire de cette ampleur dans une nation en paix, frappée par une crise économique.
« Quand les pays du Golfe toussent, c’est l’Inde qui s’enrhume », ont coutume de dire les travailleurs indiens émigrés. En l’occurrence, l’Arabie saoudite fait plus que tousser. Entre 2014 et 2016, le cours du baril de brut a perdu 75 % de sa valeur et le royaume a dû annoncer, fin 2015, des coupes drastiques dans ses dépenses pour endiguer un déficit budgétaire qui atteignait 15 % de son PIB.
Manne financière
Après l’annonce de 50 000 licenciements par le groupe de BTP Ben Laden, plusieurs centaines d’employés ont violemment protesté à Djeddah et à La Mecque, en incendiant des bus, et réclamé leurs arriérés de salaires. De nombreux chantiers de construction ont été stoppés dans le royaume et des dizaines de milliers de travailleurs d’Asie du Sud ainsi que des Philippins se retrouvent bloqués dans camps spartiates, sans travail.
Le Pakistan, qui compte plus de 8 000 ressortissants en difficulté, a ouvert des centres dans le royaume pour les loger et les nourrir. Les autorités des Philippines ont annoncé en juillet qu’elles verseraient des aides financières à leurs ressortissants ayant perdu leur emploi, ainsi qu’à leurs familles. Au-delà du contexte économique difficile, l’Arabie saoudite et le Qatar ont pris des mesures pour réserver les emplois à leurs citoyens, compliquant davantage la tâche des travailleurs immigrés.
Or, ces derniers envoient à eux seuls chaque année 33 milliards de dollars (29 milliards d’euros) à leurs proches restés en Inde. Plusieurs Etats indiens vivent sous perfusion de ces transferts, à l’instar du Kerala, où un habitant sur dix travaille à l’étranger, dont une écrasante majorité dans les pays du Golfe. L’argent qu’ils envoient à leur famille chaque année représente près du tiers du PIB de ce petit Etat du sud de l’Inde.
Cette manne financière du Golfe lui a permis d’être un des plus riches du pays, sans qu’il possède de tissu industriel, d’où un chômage élevé. « Ceux qui travaillent dans les pays du Golfe ne sont pas au bout de leurs peines. Car, à leur retour en Inde, où travailleront-ils ? », se demande M. Zubair.