Afrique du Sud : L’ANC en fort recul aux élections municipales
Afrique du Sud : L’ANC en fort recul aux élections municipales
Par Sébastien Hervieu (Johannesburg, correspondance)
Le dépouillement continue en Afrique du Sud, mais les grandes tendances sont d’ores et déjà connues
Jeudi, à 18 h 30, les résultats complets des élections municipales en Afrique du Sud du 3 août n’étaient pas encore connus (80 % des votes comptabilisés). Des premiers enseignements peuvent toutefois être déjà tirés.
Un vote sanction pour l’ANC
Le Congrès national africain (ANC) redoutait ce scrutin, et ses craintes se sont confirmées. S’il devrait remporter de nouveau la grande majorité des 278 municipalités mises en jeu, il risque de perdre près de 8 points au niveau national (54 %, contre 62 % lors des élections locales en 2011). Passer sous le seuil symbolique des 60 % serait pour l’ANC une première, toutes élections confondues.
L’opposition devait aussi parvenir à faire tomber l’ANC sous la barre des 50 % dans trois grandes métropoles : Nelson Mandela Bay où se trouve la ville portuaire de Port Elizabeth, Tshwane, qui englobe la capitale du pays, Pretoria, et enfin, le hub économique de Johannesburg. L’ANC et le DA (Alliance démocratique) se tenaient au coude-à-coude alors que le dépouillement se poursuivait.
Cet affaiblissement de l’ANC n’est pas une surprise. Il souffre de l’usure du pouvoir, et son bilan a été vivement critiqué pendant la campagne. Si davantage de Sud-Africains ont aujourd’hui accès aux services de base (eau, électricité, logement), les laissés-pour-compte ne veulent plus patienter. Des manifestations de colère, parfois violentes, sont quasi quotidiennes dans le pays. Les protestataires dénoncent la lenteur de la transformation et la corruption des officiels. L’ANC paie également son incapacité à résoudre la crise économique (croissance nulle prévue cette année) et à trouver un emploi aux 27 % de chômeurs.
Malgré l’utilisation parfois abusive des ressources publiques sous son contrôle, l’ANC a peiné plus que d’habitude pour faire campagne. Les raisons ? La faiblesse de ses alliés traditionnels (la fédération syndicale Cosatu, les communistes de la SACP, la Ligue de la jeunesse du parti) et la lutte de factions au sein même de l’ANC qui a miné l’efficacité de sa machine électorale, habituellement si bien huilée.
Autre handicap majeur : l’impopularité de Jacob Zuma. Le chef d’Etat et président du parti est empêtré dans plusieurs scandales de corruption et d’abus de biens sociaux. Comme un symbole, l’ANC a perdu le contrôle de la municipalité de Nkandla, ville natale du dirigeant zoulou, où celui-ci a été mis en cause pour avoir dépensé de l’argent public pour rénover sa résidence. Si l’ANC perdait le contrôle de plusieurs métropoles, la pression en interne devrait s’accentuer pour qu’il quitte le pouvoir de façon anticipée. Mais l’homme de 74 ans a déjà prouvé à de nombreuses reprises sa capacité de résistance.
La stratégie payante du DA
En menant une campagne offensive prônant le changement, l’Alliance démocratique (DA), principal parti d’opposition, espérait ébranler la domination historique de l’ANC. Mission réussie pour la formation de centre droit qui devait parvenir à améliorer son score au niveau national en obtenant 27 % des voix (24 % en 2011). Elle avait aussi de bonnes chances de prendre le contrôle de Nelson Mandela Bay.
Le parti semble avoir réussi à capitaliser sur le mécontentement des classes moyennes urbaines à l’égard de l’ANC, et à grignoter sur l’électorat noir. Si cette dernière tendance se confirmait, cela validerait la stratégie de Mmusi Maimane, premier dirigeant noir du parti, élu l’an dernier. Tout au long de sa campagne, il a cherché à élargir la base électorale du parti libéral, cantonnée jusqu’à présent aux minorités blanche, métisse et indienne.
Le jeune dirigeant de 36 ans, originaire de Soweto, a aussi insisté sur le bilan de ses équipes dans les villes qu’elles géraient. Lors de ce scrutin, le DA a de nouveau accru son emprise sur le Cap (deux tiers des voix), seule métropole qu’il gouvernait jusqu’à présent.
L’EFF en faiseurs de rois ?
Lancé seulement en 2013, le parti des Combattants pour la liberté économique (EFF) de Julius Malema, 35 ans, participait à ses premières élections municipales. Il avait déjà fait une entrée en force sur la scène politique sud-africaine lors des élections générales il y a deux ans en obtenant 6,4 % des voix. Il devait cette fois-ci progresser légèrement.
Avec son programme de nationalisation des mines et d’expropriation des fermiers blancs, l’EFF cherchait à séduire les ouvriers et chômeurs noirs, en particulier dans les banlieues pauvres des grandes villes.
La formation de gauche radicale pourrait devenir le principal arbitre dans les métropoles où ni l’ANC, ni le DA, n’obtienne une majorité absolue. La direction de l’EFF avait assuré pendant la campagne qu’elle ne constituerait pas de coalition avec l’ANC. Pour contrer le parti au pouvoir, acceptera-t-elle de s’allier avec le DA, aux convictions politiques diamétralement opposées ?
Vers un paysage politique tripartite
Au pouvoir sans discontinuer depuis vingt-deux ans, l’ANC est de moins en moins ultra-majoritaire. L’opposition ne cesse de se renforcer au fil des élections. La jeune démocratie sud-africaine voit émerger un jeu à trois partis, dans lequel toutes les autres petites formations en sont réduits à faire de la figuration. Les électeurs apparaissent aussi de plus en plus sensibles aux enjeux du scrutin aux dépens des affiliations identitaires.
Ce scrutin municipal devrait également accroître le fossé entre le vote des urbains et celui des ruraux. Dans les campagnes et les petites villes, l’ANC conserve les faveurs de l’électorat, en particulier grâce aux poids des autorités traditionnelles, renforcées sous la présidence Zuma.
Dans les grandes villes, les électeurs se tournent plus souvent vers l’opposition. La migration continue de la population vers les centres urbains va accélérer cette tendance.
A terme, la conquête des métropoles et des provinces les plus riches par le DA, grâce à d’éventuelles coalitions, pourrait lui permettre de contrebalancer le pouvoir de l’ANC, poussé vers la périphérie, mais encore intouchable au niveau national.
La capacité de réaction de l’ANC face à cette adversité grandissante sera un sujet clé dans la bataille de succession à Jacob Zuma. Son second et dernier mandat s’achèvera en 2019. Fin 2017, tous les cadres du parti se réuniront en congrès pour choisir leur nouveau président qui, en toute logique, devrait être le candidat de l’ANC lors des élections générales en 2019.
Présidente de la commission de l’Union africaine et ex-femme de Jacob Zuma, Nkosazana Dlamini-Zuma, 67 ans, semble bénéficier de nombreux soutiens au sein des structures du parti. Une possible candidature accueillie fraîchement par l’aile réformatrice qui juge que l’ANC doit se renouveler profondément pour cesser de perdre du terrain.