Chasse, pêche et agriculture : trois fléaux pour la biodiversité
Chasse, pêche et agriculture : trois fléaux pour la biodiversité
Par Pierre Le Hir
La surexploitation des ressources et la destruction des habitats naturels restent les principales menaces pour la faune et la flore, loin devant le changement climatique.
Saisie d’ivoire par des rangers à Mombasa, au Kenya, le 22 juillet 2016. | JOSEPH OKANGA / REUTERS
Protéger la biodiversité en péril exige de ne pas se tromper de combat. C’est le message délivré par un article de commentaire publié, mercredi 10 août, dans la revue Nature, sous le titre choc « Les ravages des fusils, des filets et des bulldozers ». Ce message s’adresse, au premier chef, aux milliers de participants – responsables politiques, ONG, chercheurs, représentants des peuples autochtones, industriels – attendus au Congrès mondial de la nature de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), du 1er au 10 septembre, à Hawaii.
Les auteurs de cette tribune, rattachés à l’université du Queensland (Australie), au siège de l’UICN (Suisse) et à celui de la Wildlife Conservation Society (Société pour la conservation de la vie sauvage, Etats-Unis), ont passé au crible les dangers qui pèsent sur près de 8 700 espèces animales et végétales classées comme menacées ou quasi menacées de disparition sur la liste rouge de l’UICN. Et ils ont identifié les plus redoutables, baptisés « grands tueurs ».
Il apparaît que la principale menace, touchant 72 % des espèces, est la surexploitation des ressources, qu’il s’agisse de la chasse et du braconnage (pour la viande, la peau, l’ivoire, les cornes ou le commerce d’animaux sauvages), de la pêche ou de l’exploitation forestière. Près de 1 700 espèces animales sont ainsi victimes de chasse illégale ou de trafic, à l’exemple de l’éléphant d’Afrique, du rhinocéros de Sumatra, du gorille de l’Ouest ou du pangolin de Chine. Dans le même temps, plus de 4 000 espèces tributaires des milieux boisés, comme le rhinopithèque de Stryker (singe du nord-est de la Birmanie), la turdinule de Bornéo (oiseau passereau) ou la crocidure de Nicobar (musaraigne), sont menacées par des coupes forestières à grande échelle.
Au deuxième rang des fléaux arrive l’agriculture. Son emprise croissante, pour les besoins cumulés de l’alimentation humaine, du fourrage et de la production d’agrocarburants, provoque la destruction accélérée des habitats naturels, au détriment de 62 % des espèces. De multiples animaux en paient le prix, tels que le guépard africain, la loutre de Sumatra, le cerf des Andes, le lycaon (aussi appelé chien sauvage d’Afrique) ou encore le rat-kangourou de Californie.
Le changement climatique en septième position
Et le changement climatique ? Souvent mis en avant, il ne se classe pourtant qu’en septième position dans l’échelle des risques pour la biodiversité. Derrière le développement urbain, les espèces invasives, la pollution et la transformation des milieux due aux feux ou aux barrages. Et devant les dégâts causés par les déplacements humains, les routes et voies ferrées ou l’extraction minière.
Inondations, tempêtes, sécheresses, canicules et montée du niveau des mers compromettent la survie de 19 % des espèces étudiées. Parmi elles, le phoque à capuchon, dont la population a chuté de 90 % au cours des dernières décennies en raison de la fonte de la banquise arctique, ou encore l’hippopotame commun et la tortue luth, tous deux mis à l’épreuve par des chaleurs et des sécheresses plus intenses.
En fin de compte, sans nier les méfaits du dérèglement climatique sur les écosystèmes, les auteurs estiment donc que la lutte contre le réchauffement « ne doit pas éclipser des priorités plus immédiates pour la survie de la flore et de la faune du monde ». Pour la vie sauvage, « les vieux ennemis » que sont la surexploitation des ressources et l’accaparement des terres restent « les plus grandes menaces actuelles » et, en conséquence, les efforts doivent d’abord viser à « minimiser leurs impacts ». Pour le premier rédacteur de l’article, Sean Maxwell (université du Queensland), cette préoccupation doit être mise « au premier plan » des plans d’action et de financement visant à combattre la perte de biodiversité.
42 % des amphibiens sont menacés d’extinction
Les solutions ne manquent pas, soulignent les chercheurs, qui citent la lutte contre les trafics d’espèces sauvages, le renforcement du contrôle de la chasse et le développement des aires marines protégées, en même temps que la promotion de pratiques agricoles durables ou la réduction de l’usage de pesticides.
Reste, ajoutent les auteurs, que le changement climatique, s’il ne constitue pas aujourd’hui le danger le plus brûlant pour la vie animale et végétale, va devenir dans les prochaines décennies un « problème de plus en plus dominant dans la crise de la biodiversité ». D’où l’importance de s’attaquer aux causes actuelles de son érosion, afin qu’elle résiste mieux à la surchauffe annoncée.
Il y a urgence. Selon la dernière liste rouge de l’UICN, plus du quart des espèces sont menacées d’extinction à l’échelle de la planète, dont 42 % des amphibiens, 34 % des conifères, 33 % des coraux, 31 % des requins et raies, 26 % des mammifères et 13 % des oiseaux.