Mélodrame meurtrier dans la Californie d’après-guerre
Mélodrame meurtrier dans la Californie d’après-guerre
Par Thomas Sotinel
Dans « The Barber », les frères Coen font revivre l’âge d’or d’un cinéma aux scénarios simples. Avec humour et cruauté (vendredi 12 août à 20 h 45 sur Ciné+ Club).
THE BARBER Movie Trailer
Durée : 02:20
Dans « The Barber », les frères Coen font revivre l’âge d’or d’un cinéma aux scénarios simples. Avec humour et cruauté.
Joel, réalisateur et scénariste, et Ethan Coen, scénariste et producteur, suscitent avec The Barber une nouvelle apparition, à des milliers de kilomètres du Sud profond. Ed Crane (Billy Bob Thornton) est coiffeur à Santa Rosa, Californie du Nord, en 1949. La même petite ville où le scénariste Thornton Wilder avait situé l’action de L’Ombre d’un doute, le plus américain des films d’Alfred Hitchcock.
Avec ses cheveux crantés et son air mélancolique, Ed Crane ressemble un peu à l’oncle Charlie (Joseph Cotten) du drame familial hitchcockien. Il fume en permanence et en toute insouciance – la science ne lui a pas encore appris que fumer nuit gravement à la santé –, et s’abreuve de dry martini avant le repas. Ed Crane est un coiffeur désabusé, dont la voix, hors écran, étouffe la nostalgie amusée qui pourrait naître du spectacle des petits garçons qui se succèdent sur son fauteuil, avant de s’en relever en arborant des tonsures qui évoquent les héros de Rintintin.
Ed Crane, le coiffeur incarné par Billy Bob Thornton. | BAC FILMS/MELINDA SUE GORDON
Dès que nostalgie ou pastiche pointent leur nez, les frères Coen leur font un croche-pied. Le motif dramatique central du film – le crime passionnel – n’échappe pas à cette avanie. Doris Crane (Frances McDormand), l’épouse du coiffeur, entretient une liaison avec son patron, Big Dave (James « Tony Soprano » Gandolfini). Ed entreprend de les faire chanter, mais ne parvient qu’à provoquer des catastrophes en chaîne qui n’ont rien à voir avec son intention première…
On pourrait le prendre pour un cousin de Walter Neff, l’amant diabolique et malheureux d’Assurance sur la mort. Ce serait se tromper d’arbre généalogique. Les héros des romans noirs des années 1940 payaient le prix de leurs transgressions. Les calamités qui s’abattent sur Ed Crane n’ont d’autre source que le hasard dans toute son absurdité.
Une tristesse irrépressible
En contrepoint du mélodrame meurtrier tout déglingué, reviennent des thèmes à peine éclos en 1949 : les soucoupes volantes et leur conspiration du silence, la transgression sexuelle (le coiffeur tombe amoureux d’une adolescente), tout ce qui va miner l’identité américaine.
Si la couleur noire resurgit, c’est pour en habiller l’humour d’une cruauté rarement atteinte, même par les frères Coen. Et si l’humour est omniprésent, c’est pour faire passer la sensation de douleur, de perte irrémédiable, qui fait le vrai prix du film. Les Coen ont voulu capter ce moment à partir duquel les histoires simples, le noir et le blanc, le bien et le mal, le vrai et le faux, se sont évanouis des écrans. Billy Bob Thornton porte le deuil de cet âge d’or sur son visage défait. A chaque épreuve que le scénario impose à son personnage, l’acteur le fait rentrer encore un peu plus loin en lui-même, jusqu’à devenir un bloc d’énergie négative.
Cette belle entreprise historique, artistique et intellectuelle est menée de bout en bout avec l’aplomb de vrais cinéastes, capables d’utiliser toutes les ressources d’un art. Les références, les astuces de mise en scène et les rebondissements de scénario suffisent largement à maintenir le rythme du film. Mais ce n’est que l’emballage d’une tristesse irrépressible, comme si Joel et Ethan en voulaient encore à Mme Coen de les avoir fait naître trop tard pour réaliser des films tout simples.
The Barber, l’homme qui n’était pas là, de Joel Coen. Avec Billy Bob Thornton, Frances McDormand, James Gandolfini (EU, 2001, 116 min). Le vendredi 12 août à 23 h 15 sur Arte. Rediffusion le lundi 15 août à 18 h 30.