Editorial François Hollande a donc tranché. En dépit de sa réticence à exercer cette survivance monarchique qu’est le droit de grâce conféré au président de la République par la Constitution, il a accordé à Jacqueline Sauvage une « remise gracieuse de sa peine d’emprisonnement », ainsi que « de l’ensemble de la période de sûreté qui lui reste à accomplir ». Cette femme de 68 ans avait été condamnée en appel à dix ans de prison par la cour d’assises de Loir-et-Cher, le 3 décembre 2015, pour avoir tué, en 2012, son mari qui la violentait, elle et ses quatre enfants, depuis des décennies. Cette grâce présidentielle va permettre aux avocates de Mme Sauvage de demander au juge d’application des peines qu’elle soit rapidement remise en liberté, puisqu’elle a déjà effectué trente-deux mois de détention.

L’arbitrage du chef de l’Etat est nuancé et habile. En premier lieu, il ne remet pas en cause le fond de l’affaire et n’efface pas la décision de la cour d’assises d’appel de Blois, identique à celle, en 2014, de la cour d’assises d’Orléans, qui avait déjà jugé Jacqueline Sauvage coupable du meurtre de son mari. Elle reste condamnée pour meurtre aggravé, et cette condamnation restera inscrite à son casier judiciaire. Ce n’est pas une amnistie.

Intolérable injustice

De même, la légitime défense n’est pas reconnue. Les avocates de Mme Sauvage en avaient fait l’argument central de leur défense, mais les deux jurys populaires, en 2014 puis en 2015, ne l’avaient pas retenue : compte tenu du déroulement des faits, ils avaient exprimé, nettement, leur intime conviction que la culpabilité ne faisait pas débat. Le président de la République ne conteste pas ces jugements et respecte donc l’autorité judiciaire.

Comme le précise le communiqué annonçant sa décision, le président de la République a donc voulu répondre « à une situation humaine exceptionnelle ». Et, au-delà, à une campagne à la fois politique et médiatique qui devenait embarrassante. Depuis la condamnation en appel de Jacqueline Sauvage, des voix très nombreuses se sont élevées, en effet, pour dénoncer ce qu’elles considérent comme une incompréhensible et intolérable injustice.

En 2014 encore, 134 femmes sont mortes sous les coups de leur conjoint violent

Une pétition demandant sa grâce a été signée par près de 400 000 personnes. Le 18 décembre 2015, à l’appel de la députée Valérie Boyer (LR), 36 parlementaires demandaient un geste de clémence de la part du président de la République, bientôt rejoints par la maire de Paris, Anne Hidalgo, le leader du Parti de gauche, Jean-Luc Mélenchon, ou l’écologiste Daniel Cohn-Bendit. En le faisant de façon mesurée, François Hollande peut se prévaloir d’un geste d’humanité. Sans donner raison aux pétitionnaires et sans braquer la justice, il envoie un message d’apaisement à tous ceux que le cas de Jacqueline Sauvage avait émus, ou indignés.

Et pour cause. Au-delà de cette affaire singulière, c’est toute la question des violences faites aux femmes qui est, une nouvelle fois, posée. Un scandale à bas bruit dans nos sociétés policées. En 2014 encore, 134 femmes sont mortes sous les coups de leur conjoint violent. Sans parler des violences physiques et sexuelles, le plus souvent répétées, qui touchent plus de 230 000 femmes, selon les enquêtes de l’Insee. Le plus souvent dans l’impunité, la gêne et le silence. Combien d’affaires Sauvage faudra-t-il pour que soient reconnus pleinement aux femmes les droits élémentaires que sont la sécurité, l’intégrité et la dignité ?