SafeMotos, la start-up qui veut uberiser les motos-taxis d’Afrique
SafeMotos, la start-up qui veut uberiser les motos-taxis d’Afrique
Par Bruno Meyerfeld (Kigali, envoyé spécial)
A Kigali, au Rwanda, une start-up essaye non sans mal de s’imposer dans un secteur informel et où les accidents sont fréquents.
« Don’t get killed today. » A SafeMotos, le slogan anxiogène, placardé au mur, tranche avec une atmosphère des plus détendue, presque californienne. Ici, on se détend d’une partie de ping-pong ou de fléchette, on sifflote un air de jazz devant son ordinateur portable. Les bureaux de la start-up ne dominent pourtant pas la skyline de San Francisco, mais les collines de Kigali.
Lancée en juin 2015, l’application a déjà gagné son surnom d’« Uber des motos-taxis », permettant depuis un an aux habitants de la capitale rwandaise de commander des chauffeurs à la conduite irréprochable grâce à leurs portables. SafeMotos compte 5 000 utilisateurs réguliers. En quelques mois, l’application a été téléchargée 10 000 fois et comptabilise 28 000 trajets.
Contrôle de la conduite
A l’origine du projet, il y a deux jeunes hommes, Barrett Nash et Peter Kariuki (de nationalité canadienne et kényane), mais aussi un crash. Quelques mois après avoir fait germer l’idée de leur start-up, les deux compères prennent un moto-taxi pour un trajet dans Kigali. Soudain, un pick-up surgit. La route est glissante. Les deux amis et leurs chauffeurs se fracassent sur les parois du camion. Une frayeur pour Barrett, quelques dents cassées pour Peter. Mais une certitude : les motos-taxis sont dangereux.
Le succès de SafeMotos repose donc d’abord sur un contrôle rigoureux de la conduite des chauffeurs. Ces derniers signent un contrat, auquel l’entreprise peut mettre fin à tout moment. Il doit avoir son permis (bien sûr) mais aussi un casque de qualité et une veste réfléchissante. « S’il ne peut pas acheter tout ça, on peut lui ouvrir un microcrédit », explique Barrett Nash.
Sur leurs tableaux de bord, les équipes de SafeMotos contrôlent l’activité de leurs chauffeurs, notés de 0 à 100 en fonction de la qualité de leur conduite. Chaque profil est assorti de graphiques et de cartes, montrant les temps de parcours, retraçant chaque trajet. « On vérifie les motos toutes les semaines, insiste Herve Munyurangeri, l’un des jeunes développeurs rwandais de l’application. On a un système de carton jaune et de carton rouge pour rappeler les chauffeurs à l’ordre s’ils conduisent trop mal. En un an, un seul motard a été viré, et nous n’avons eu qu’un seul accident. »
La technologie Safe Motos impressionne, permettant de retracer à la seconde près les accélérations d’un chauffeur trop pressé. « C’est pourtant assez simple », rigole Peter Kariuki. SafeMotos utilise en effet une combinaison de logiciels et d’applications déjà existants. « Avec OpenStreetMap, on sait exactement à quoi ressemblent les rues, leurs longueurs, les différents croisements. Avec le GPS, on peut suivre chaque chauffeur dans ses trajets. Et nous avons aussi accès aux limites de vitesse fixées par le gouvernement pour chaque voie de circulation. En croisant les données, grâce un algorithme, on peut donc savoir combien de temps le chauffeur met pour parcourir telle rue et à quelle vitesse, et déterminer s’il est allé trop vite, s’il a freiné trop brutalement… »
Pas vraiment rentable
Une autoroute de 60 000 kilomètres de données a été accumulée en un an. Fini de héler les mobylettes ! L’application utilise le même principe qu’Uber. Il suffit de la télécharger et de signaler sa position sur une carte afin de convoquer la venue d’un moto-taxi. « Le temps d’attente est de moins de cinq minutes s », nous assure-t-on. On l’a testé : après plusieurs blocages, un chauffeur nous est finalement attribué… avec vingt minutes d’attente.
Une hérésie dans une ville où il suffit de lever la main à toute heure pour arrêter une moto. Car SafeMotos reste une goutte d’eau dans un océan motorisé : à Kigali, il demeure en effet assez rare de croiser le petit drapeau rouge des chauffeurs de l’application, accroché à l’avant de la bécane. Dans la capitale rwandaise, roulent 10 à 15 000 motos-taxis effectuant 200 000 trajets par jour, contre à peine 350 virées quotidiennes pour les 70 chauffeurs de SafeMotos.
SafeMotos met cependant un terme à la traditionnelle négociation du prix du moto-taxi. Comme pour Uber, celui-ci est défini automatiquement en fonction de la distance et du temps de parcours. On peut payer en liquide, ou avec un portefeuille électronique, débité à chaque trajet. « Le prix du marché est de 100 francs rwandais par kilomètre [11 centimes d’euros], explique Barrett Nash. Nous, on charge 105 francs. 85 sont reversés au chauffeur et on fait donc 20 francs de bénéfice par trajet [à peine plus de deux centimes] ». Avec 350 trajets par jour, cela fait grosso modo sept euros de bénéfice quotidien… SafeMotos est loin d’être rentable.
Rwanda, hub de start-up
Kigali est-elle la bonne ville pour développer une telle application ? La conduite des boda boda kényans et ougandais est bien plus dangereuse que celle des motos de Kigali, où les véhicules sont immatriculés, le trafic moins congestionné et les écarts de conduite plus rares. « C’est d’abord une application pour les étrangers qui débarquent ici et ont peur de prendre une moto », persifle une habitante de la capitale. La majorité des utilisateurs de SafeMotos, nous assure-t-on, seraient pourtant des Rwandais. « Dans tous les cas, 80 % des accidents ici impliquent des motos, insiste Barrett Nash. Il y a un droit de se sentir en sécurité, peu importe où on habite. »
Le Rwanda réunirait toutes les qualités nécessaires au développement d’une start-up. Ici, point de corruption. « La politique fiscale est claire, personne ne va nous voler notre bébé, détaille Barrett Nash. Par ailleurs les infrastructures sont de meilleure qualité. Les autorités nous soutiennent, car elles pensent qu’on a de la valeur. » Un contrôle parfois pesant ? « Ils veulent des résultats. C’est peut-être moins libre qu’au Kenya, mais on ne trouverait cet accompagnement nulle part ailleurs. »
Kigali chipera-t-elle à Nairobi, Lagos ou Johannesburg la place convoitée de capitale des start-up africaines ? Le Rwanda a été classé pays numéro un en Afrique pour faire du business par la Banque mondiale. En mai, Kigali accueillait le 26e Forum économique mondial (WEF), sur le thème porteur de la « transformation digitale ». Facebook, Google et Microsoft étaient de la partie. Kigali n’en est pas à son ballon d’essai grâce au kLab, incubateur né en 2011, et au FabLab, son cousin lancé en mai dernier.
Tous ces efforts, dans un pays où 80 % de la population est employée par le milieu agricole et à peine un quart a accès à l’électricité, restent à relativiser. Il demeure que huit Rwandais sur dix ont accès à un portable – et donc à SafeMotos. La start-up, qui vise les 1 000 trajets quotidiens, voit déjà plus loin. Une application similaire existe en Ouganda. « Ce principe est tout à fait duplicable sur d’autres continents, en Asie du Sud-Est par exemple, insiste Barret Nash. Si on reste à Kigali, ce sera un échec ».