Jean-Paul Tony Helissey, à droite, avait du mal à trouver le sourire sur le podium du fleuret par équipe. | CARLOS BARRIA / REUTERS

Sur le podium, quand il s’est penché pour recevoir sa médaille, il a été saisi à la nuque par les mains calleuses du président du Comité international olympique, Thomas Bach. La scène a duré une dizaine de secondes, une éternité dans ce moment codifié et convenu que constitue la remise des médailles, mais l’ancien fleurettiste, champion olympique par équipe il y a 40 ans, pouvait se le permettre. Il a dit quelques mots à Jean-Paul Tony Helissey, qu’il ne connaissait sans doute pas, mais dont l’histoire suscitait l’empathie. « Il m’a réconforté. Il a eu des mots touchants, m’a dit d’avancer et de travailler. »

Une demie-heure plus tôt, le petit Guadeloupéen était entré sur la piste bleue de la Carioca Arena 2 avec un poids immense sur les épaules. Il tirait pour la première fois dans ces Jeux olympiques, et cela durerait trois minutes. Un seul relais, à la place de Jérémy Cadot, qui n’y était plus. La France mène encore 35-30. Si Tony Helissey perd son match face au Russe Artur Akhmatkhuzin, ce n’est pas grave. Qu’il transmette le relais à Erwann Le Pechoux à 40-40, et le Vauclusien, le meilleur fleurettiste du jour, ira chercher l’or.

Le remplacement opéré par Franck Boidin, le bronzé d’Atlanta 1996 qui a relancé le fleuret français depuis trois ans, se défend. Mais il est perdant. Jean-Paul Tony Helissey se noie, déstabilisé par l’agressivité du Russe, qui gagne le match 10-3. La finale vient de basculer et la superbe journée des Tricolores s’achèvera sur cette frustration majuscule, Erwann Le Pechoux se révélant incapable de renverser la tendance sur le dernier relais. Il prendra la défaite pour lui.

« Ce qu’on lui demande, ce n’est vraiment pas facile »

Le public, lui, n’a vu que le naufrage de Tony Helissey. Après la défaite, le fleurettiste de 26 ans gardera la tête baissée à s’en bloquer la nuque. Il erre quelque temps sur la piste puis file aux vestiaires, se changer pour la cérémonie. Sur le podium, le sourire n’est pas revenu. Un cri dans les tribunes, avant l’hymne russe : « Erwann, souris ! »

C’est Inès Boubakri, la femme d’Erwann Le Pechoux, radieuse médaillée de bronze au fleuret individuel qui avait dédié cette première médaille africaine en escrime « à la femme tunisienne » et « toutes celles qui se battent pour la liberté ». « Elle est là, il faut en profiter, elle est belle quand même », dit-elle de cette médaille d’argent.

Erwann Le Pechoux, à 34 ans, disputait ses derniers Jeux olympiques | KIRILL KUDRYAVTSEV / AFP

En zone mixte, après la cérémonie, Le Pechoux et Boidin retiennent la défaite, Lefort et Cadot la victoire. Mais tous soutiennent Tony Helissey.

« Jean-Paul n’a pas tiré en individuel ni les deux premiers matches, on lui demande de rentrer sur le dernier relais d’une finale olympique, ce n’est vraiment pas facile », compatit son ami Enzo Lefort, qui le connaît depuis ses cinq ans. « Jean-Paul a donné tout ce qu’il avait, il a mis tout son cœur dans cette préparation. »

« Il a eu un apport énorme »

Depuis deux semaines, le fleurettiste de Bourg-la-Reine vit avec ses trois coéquipiers, leur a regonflé le moral après l’échec de l’individuel, a tiré tous les jours avec eux sans savoir s’il entrerait une seule fois en piste. Plus ingrat, on ne fait pas. « Il a eu un apport énorme », salue Franck Boidin. « On ne le met pas dans une situation facile, mais c’est pour ça qu’il est là. On ne va pas se mentir, il va mettre un peu de temps à digérer. »

Tony Helissey dit s’être préparé à plusieurs scénarios, surtout celui de ne pas entrer en jeu et de ne pas avoir de médaille. « Mais je n’avais pas pensé à celui-là, celui où je fais mon entrée et je la rate. » Sur ce qu’il en restera quand l’émotion, les interviews, la fête au Club France seront passées, il ne sait pas encore : « Est-ce que je préfère ne pas avoir de médaille ou être dans ma situation ? Il y aura beaucoup de questions... »

Enzo Lefort s’apprête à y répondre : « Je vais vous le détendre, le Jean-Paul ! » Il se tire en riant. Pour tous, c’est une première médaille olympique.