Déchets radioactifs : à Bure « on défait le mur ! »
Déchets radioactifs : à Bure « on défait le mur ! »
Par Pierre Le Hir (Bure (Meuse), envoyé spécial)
Dimanche, les opposants à l’enfouissement des résidus nucléaires dans la Meuse ont abattu l’enceinte en béton du chantier. Le conflit s’installe dans la durée.
« Et la forêt elle est à qui ? Elle est à nous ! Andra dégage ! » Ce dimanche 14 août, le slogan claque dans le cortège qui s’avance, en fin de matinée, sous un soleil de plomb, vers une forêt dominant le petit village de Bure, aux confins de la Meuse et de la Haute-Marne.
Il donne la nouvelle tonalité, plus radicale que pastorale, de la lutte contre le Centre industriel de stockage géologique (Cigéo) que prévoit de construire ici l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), pour y enfouir les résidus nucléaires les plus dangereux.
Joignant le geste à la parole, environ quatre cents opposants – militants historiques de la région, agriculteurs, villageois mais aussi, en plus grand nombre, jeunes activistes pour beaucoup cagoulés et masqués – investissent un domaine forestier où, depuis plusieurs semaines, l’Andra mène des travaux de reconnaissance.
D’ordinaire, les gendarmes mobiles et les vigiles de l’agence quadrillent le terrain, empêchant toute intrusion et multipliant les contrôles d’identité. Aujourd’hui, ils ont choisi de se retirer pour éviter tout incident. Pas un seul uniforme en vue. La forêt est ouverte, seulement survolée par un hélicoptère.
« Un acte de sabotage collectif et joyeux »
Les manifestants en profitent. Plusieurs dizaines d’entre eux, munis de masses, de barres à mine, de béliers, de pioches et de cordes, abattent l’un après l’autre les pans d’une enceinte de béton avec lequelle l’agence a fortifié son chantier.
D’autres taguent la paroi où s’étalent des devises colorées : « vos déchets on n’en veut pas », « ni ici ni ailleurs », « que revive la forêt communale », ou plus loin, en grosses lettres jaunes, « on défait le mur ! ». D’autres encore replantent des arbrisseaux sur les parcelles déboisées. Au fur et à mesure que des blocs de béton sont mis à terre, des rameaux de verdure y sont piqués.
« Un monde sans mur » | FRANCOIS NASCIMBENI / AFP
« Ce sont les tombes de l’Andra », dit un jeune opposant qui se fait appeler Sylvestre et qui revendique « un acte de sabotage collectif et joyeux ». « La vraie violence, défend-il, c’est celle d’une agence qui colonise le territoire, défriche la forêt en toute illégalité et construit un mur de la honte. »
Militante de longue date contre le projet Cigéo et membre de la coordination Burestop, Régine Millarakis, venue mettre en terre un jeune plant de noisetier, renchérit : « Nous ne laisserons pas ce bois à l’Andra. Il est stratégique, pour eux comme pour nous. »
« Nous devons protéger nos salariés »
De fait, la fronde contre la « poubelle nucléaire de Bure », longtemps limitée aux associations locales et aux réseaux antinucléaires, a changé de visage et de méthodes, depuis que l’Andra a entrepris des travaux dans ce massif de 220 hectares, dit bois Lejuc, sur la commune de Mandres-en-Barrois (Meuse).
Il se trouve en effet à l’aplomb du futur site de stockage, conçu pour confiner à 500 mètres sous terre, dans 300 kilomètres de galeries, 80 000 mètres cubes de déchets hautement radioactifs et à vie longue, pour un coût prévisionnel de 25 milliards d’euros.
Un cimetière radioactif à 500 mètres sous terre | Andra
Ces travaux, indique l’Andra, consistent en « une campagne de reconnaissance géotechnique destinée à recueillir les données nécessaires aux études de conception du projet Cigéo ». En clair, des forages et des relevés de terrain qui lui permettront de présenter, en 2018, une demande d’autorisation de création du centre de stockage, pour un démarrage du chantier de construction en 2021 et une mise en service en 2025.
Camp fortifié
Pour « sécuriser le site dont elle est propriétaire », l’agence a d’abord planté une double rangée de piquets et de barbelés. Cette clôture a été arrachée et cisaillée par des militants, qui en ont fait des barricades derrière lesquelles ils ont tenu la forêt pendant trois semaines, entre le 19 juin et le 7 juillet, avant d’être délogés par les gendarmes mobiles.
A la place, c’est un mur de béton de deux mètres de hauteur qui est désormais érigé, transformant le chantier en camp fortifié. Il doit s’étirer sur près de quatre kilomètres de long et sa pose, au milieu d’une large saignée, a entraîné, selon les opposants, le défrichement de sept hectares sur lesquels « des chênes centenaires ont été tronçonnés ».
« Nous n’avons jamais interdit à personne de se promener dans les bois qui nous appartiennent, d’y pique-niquer ou d’y cueillir des champignons, répond Jean-Paul Baillet, directeur du centre Meuse - Haute-Marne de l’agence. Mais nous devons protéger nos salariés, qui subissent des menaces, et nos matériels scientifiques, qui ont fait l’objet de dégradations. »
En poussant à l’intérieur de la forêt, on découvre en effet la carcasse calcinée d’un bâtiment préfabriqué de l’Andra qui a été incendié la veille, au milieu d’un stock de tubes de forage et de cloisons de béton prêtes à être posées.
Guérilla militante et juridique
Le bois Lejuc, ce bout de forêt perdu au milieu de nulle part, est ainsi devenu le foyer de la contestation anti-Cigéo et, à plus largement, des luttes antinucléaires. Les opposants se défendent pourtant de vouloir créer ici une nouvelle « zone à défendre » (ZAD), à l’image de celles de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique) ou de Sivens (Tarn).
De son côté, l’Andra dit vouloir avant tout « éviter la violence ». Mais la mobilisation, dont la journée du 14 août n’était qu’une étape, n’en semble pas moins partie pour durer. « Aujourd’hui, nous avons fait tomber les murs, se félicitait dimanche un jeune activiste. C’est aussi la chape de plomb de la fatalité et de la résignation qui s’est fissurée. Ce que nous vivons ici, c’est le renouveau du mouvement anitnucléaire. »
Quatre cents manifestants se sont rassemblés près de Bure (Meuse), dimanche 14 août, pour s’opposer au projet de « poubelle nucléaire ». | FRANCOIS NASCIMBENI / AFP
D’autant qu’à la guérilla militante, les anti-Cigéo ajoutent la guérilla juridique, en conjuguant actions sur le terrain et dans les prétoires. Et ils ont remporté un premier succès. Le 1er août, le tribunal de grande instance de Bar-le-Duc, saisi par des associations et des habitants de Mandres-en-Barrois, a considéré que l’Andra avait procédé, pour installer son mur, à un défrichement « illicite ».
« Rouleau compresseur »
Il lui a ordonné de suspendre tout déboisement et de remettre les lieux en état – c’est-à-dire d’y replanter des arbres – dans un délai de six mois, sauf à obtenir de la préfecture l’autorisation de défrichement nécessaire. L’Andra reconnaît « une erreur d’appréciation » sur la réalité du déboisement, tout en annonçant qu’elle « n’exclut pas de reprendre les travaux de pose de la clôture dans les prochains jours ».
De mémoire d’opposant, c’est la première fois que le projet d’enfouissement des déchets radioactifs subit un revers devant un tribunal. « C’est une victoire historique, juge Régine Millarakis. Elle nous redonne du courage pour continuer à nous battre face à un organisme public qui agit comme un rouleau compresseur ».
Directeur des opérations industrielles de l’Andra, Patrice Torres craint, lui, que toutes ces actions « ne fassent perdre du temps et de l’énergie pour un projet essentiel pour la nation et pour l’Etat ».
Dimanche, alors que la nuit tombait, les manifestants quittaient le bois Lejuc. Ils annonçaient avoir mis à bas l’enceinte de béton sur un kilomètre, soit la presque totalité de sa longueur. Une nacelle de vigie, installée à l’orée du bois, montait la garde.