Espagne : les conservateurs acceptent le pacte anticorruption proposé par les centristes
Espagne : les conservateurs acceptent le pacte anticorruption proposé par les centristes
Alors que le Parti populaire et Ciudadanos se dirigent vers un accord pour l’investiture de Mariano Rajoy, il manque encore à ce dernier quelques voix pour rester premier ministre. Et pour mettre fin à une crise qui dure depuis décembre.
Le premier ministre sortant Mariano Rajoy et le leader de Ciudadanos Albert Rivera, le 18 août. | PIERRE-PHILIPPE MARCOU / AFP
L’Espagne va-t-elle enfin sortir de l’impasse politique ? Après huit mois de négociations, et deux élections législatives, les discussions avancent, notamment entre le Parti populaire (PP), du premier ministre sortant, Mariano Rajoy, et le nouveau parti centriste Ciudadanos, dirigé par Albert Rivera. Mais de nombreux blocages persistent encore.
Vers une alliance entre le Parti populaire et Ciudadanos
Les négociations vont pouvoir s’engager entre les conservateurs, arrivés en tête aux élections de juin (33 %), et Ciudadanos. A l’issue d’une rencontre de la dernière chance, jeudi 18 août, entre les dirigeants des deux partis, M. Rivera a annoncé au cours d’une conférence de presse que « Mariano Rajoy a[vait] accepté de signer le pacte de lutte contre la corruption. Nous le signerons demain ».
Ce programme en six points était une des conditions sine qua non à l’ouverture de négociations plus approfondies entre les deux partis. A l’heure où le PP est empêtré dans de nombreuses affaires de corruption, ce plan exige :
- l’expulsion du parti de tout élu mis en examen pour corruption politique ;
- l’interdiction d’accorder des grâces aux personnes corrompues ;
- l’ouverture d’une commission d’enquête parlementaire sur les accusations de financement illégal du PP ;
- la suppression du privilège de juridiction des députés ;
- la limitation à deux du nombre de mandats ;
- une nouvelle loi électorale imposant des listes ouvertes et renforçant la proportionnalité.
« M. Rajoy s’est engagé à fixer une date pour son investiture. Les deux conditions sont remplies pour négocier », a poursuivi le jeune dirigeant libéral, arrivé quatrième en juin (13 %). Quelques minutes plus tard, Mariano Rajoy a également salué cet accord : « Nous avons franchi une étape décisive vers la formation d’un gouvernement, permettant d’éviter de nouvelles élections. »
Mais visiblement embarrassé, le premier ministre sortant a abrégé son point-presse pour ne pas avoir à évoquer les multiples scandales de corruption qui ont contribué à la faire perdre sa majorité parlementaire.
Albert Rivera a par ailleurs fait savoir que les équipes des deux partis se retrouveront vendredi après-midi pour discuter d’un accord d’investiture en faveur du premier ministre conservateur.
Le leader de Ciudadanos Albert Rivera, le 18 août. | JAVIER BARBANCHO / REUTERS
Cette annonce est faite alors que les négociations patinaient jusqu’ici entre les deux partis. La veille, le très attendu comité exécutif du Parti populaire n’avait pas abordé la question de ce programme anticorruption. Il avait seulement donné « l’autorisation » au chef de gouvernement de négocier avec Ciudadanos.
« Tant que Rajoy n’aura pas pris de décision ou accepté les conditions, les négociations ne s’ouvriront pas et nous resterons dans la même situation », avait menacé dans la foulée José Manuel Villegas, secrétaire général adjoint de Ciudadanos.
La situation n’est pas pour autant débloquée. Même en cas de vote favorable des élus libéraux, cela ne serait pas suffisant pour permettre à M. Rajoy d’obtenir l’investiture au Parlement. En effet, sept voix pour, ou treize abstentions, lui manqueraient encore.
Ce qui place désormais le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), arrivé deuxième de l’élection de juin avec 85 députés (22 %), en position d’arbitre.
Le Parti socialiste n’a pas encore tranché
Le PSOE n’a pas encore arrêté une position claire. Votera-t-il contre ou s’abstiendra-t-il, favorisant par là même la formation d’un gouvernement conservateur ? Cette incertitude commence à agacer M. Rajoy, qui comptait sur un accord avec Ciudadanos pour faire pression sur les socialistes.
Les centristes ont « fait un pas en avant, le Parti socialiste n’en a pas fait un seul. Sans ce pas, l’investiture n’est pas possible », avait prévenu le premier ministre, mercredi. Au cours de sa conférence de presse jeudi, le chef de gouvernement a annoncé son intention de rencontrer Pedro Sanchez. Mais le leader socialiste est pour le moment opposé à un accord : « Ce que veut M. Rajoy, c’est gouverner sans opposition. Nous n’allons pas soutenir ce que nous voulons changer. »
Le leader du PSOE Pedro Sanchez, le 17 août. | JAVIER BARBANCHO / REUTERS
On ne forme pas un gouvernement stable « par le chantage, mais par le dialogue », a-t-il poursuivi. « Nous ne savons ni la date de l’investiture, ni le programme du gouvernement », a ensuite regretté M. Sanchez, mercredi. Ce dernier insiste donc pour que M. Rajoy tente d’obtenir la confiance du Congrès et y échoue. Ce n’est qu’au deuxième tour, où la majorité simple suffit, que les socialistes pourraient s’abstenir et laisser le premier ministre sortant former un gouvernement minoritaire.
Mais les pressions sont fortes au sein du PSOE pour aller plus vite et laisser M. Rajoy obtenir l’investiture. « Le Parti socialiste doit accepter le dialogue que lui propose le candidat du PP, tout en disant clairement qu’il n’a pas l’intention de faire partie d’une coalition avec ce parti », a ainsi affirmé l’ancien premier ministre socialiste (1982-1996) Felipe Gonzalez, dans une tribune publiée dans El Pais au début de juillet.
Deux élections législatives et huit mois de blocage politique
L’Espagne est entrée dans son huitième mois sans gouvernement. Depuis la fin de décembre, et les premières élections législatives qui n’ont pas permis de dégager une majorité claire, le gouvernement de Mariano Rajoy ne peut qu’expédier les affaires courantes. Il ne peut pas non plus faire adopter le budget 2017 et réduire le déficit, comme l’exige la Commission européenne. Le chef du gouvernement ne peut même plus remplacer les ministres démissionnaires.
Cette situation bloque également toute initiative sur la question épineuse de l’indépendance de la Catalogne.
Les élections législatives de décembre, puis de juin, ont mis fin à la division traditionnelle du Congrès en deux blocs, conservateurs et socialistes, qui se succédaient au pouvoir depuis la mort de Franco, en 1975.
Les bons résultats du parti de la gauche alternative Podemos et des libéraux de Ciudadanos ont ainsi bousculé ce bipartisme traditionnel. Après les élections de décembre, ni Mariano Rajoy ni Pedro Sanchez n’avaient ainsi réussi à former un gouvernement.
Si aucun accord n’était une nouvelle fois trouvé, un troisième scrutin serait alors convoqué en fin d’année. Le quotidien El Mundo souligne que l’Espagne serait alors le premier pays européen, depuis la seconde guerre mondiale, à devoir voter trois fois pour trouver un gouvernement.