Yohann Diniz, le 19 août, à Rio. | DAMIR SAGOLJ / REUTERS

Il reste allongé, sur le bitume de Rio, frappé par le soleil. Mais contrairement aux plagistes qui se prélassent sur la plage de Pontal, à quelques centaines de mètres de là, Yohann Diniz ne savoure pas la chaleur. Cela fait trente-sept kilomètres qu’il la subit. Le voilà qui craque. Accablé, perclus de douleurs, il gît sur le sol, inconscient durant un court instant. Puis se remet sur pied, aidé par des bénévoles. Avant de reprendre sa démarche titubante. Une heure plus tard, le marcheur français franchira la ligne d’arrivée, tel un pantin désarticulé.

Vendredi 19 août, Yohann Diniz a vécu un calvaire du 50 kilomètres marche, remportée par le Slovaque Matej Toth (3 h 40 min 58 s). Septième [après la disqualification du Japonais Hirooki Ara] à six minutes du vainqueur, celui qui visait l’or pour ses troisièmes Jeux est évacué sur une chaise en direction d’une tente. Après un nouveau malaise, plus important, il est transporté à l’hôpital américain où il est perfusé avant de passer des examens radiologiques. Le médecin de l’équipe de France, Jean-Michel Serra, constate une « déshydratation », des « troubles digestifs » et des « selles sanglantes ». Pendant sa course, Diniz avait eu des mots plus crus : « Je chie du sang. »

« Gros brouillard »

Tout semblait pourtant avoir bien commencé pour le recordman du monde de la distance. Trop bien ? Il prend rapidement les commandes et part en solitaire pour ce qui se présente comme un long raid. Le Français compte plus de 1 minute et demie d’avance à mi-course. Le début des ennuis. A-t-il présumé de ses forces ? Ou tenté un coup de poker ? Aux environs du 30e kilomètre, il s’arrête une première fois, plusieurs de dizaines de secondes. Puis tente de repartir avec le Canadien Evan Dunfee, avant de s’effondrer.

Yohann Diniz à l’arrivée du 50 km marche, le 19 août, à Rio. | JEWEL SAMAD / AFP

Le manageur des marcheurs tricolores, Pascal Chirat, savait que Diniz souffrait le martyre. Le marcheur de Reims lui avait fait part de ses douleurs gastriques, dès le 10e kilomètre. Mais que faire, alors que Diniz semble à la limite de la rupture ? « Dans nos têtes, il ne faut pas mettre sa vie en danger en voulant absolument aller au bout de la course, explique Chirat. La tentation était plutôt de l’arrêter. Mais je connais très bien Yohann. Je savais à l’avance qu’il ne s’arrêterait pas et qu’il ferait tout pour aller à l’arrivée. » Alors le manageur ne lui a pas demandé de jeter l’éponge et Diniz s’en est servi tant bien que mal pour faire couler autant d’eau qu’il le pouvait sur sa tête.

Partenaire de Diniz aux Jeux de Londres, le marcheur Cédric Houssaye a regardé l’épreuve de Rio devant la télévision. Il décrit ce sentiment de perdition : « On a tout qui défile dans la tête. Ce qu’on a fait à l’entraînement. Ce qu’on était venu chercher. Ce qui nous file entre les doigts. On est entre la souffrance qui nous dit d’arrêter et l’enjeu de l’événement, qui fait qu’on n’a vraiment pas envie de ne pas passer la ligne. Dans la tête, tout se mélange. On est un peu sur pilote automatique. C’est un gros brouillard. »

« Extrêmement courageux »

Sous le crâne dégarni de Diniz, la tempête carioca a dû être violente. Car le Rémois voulait rompre au Brésil la malédiction des Jeux : un abandon à Pékin en 2008 et une disqualification pour ravitaillement hors zone à Londres, quatre ans plus tard. Alors, malgré sa défaillance, pas question de ne pas être classé une troisième fois d’affilée. Il a pourtant frisé une nouvelle disqualification pour avoir été relevé par deux bénévoles. Mais personne n’a porté réclamation.

Outre le cas impressionnant du Français, le parcours a provoqué des dégâts importants. Parmi les 80 partants, 12 ont été disqualifiés, 19 ont abandonné. « Il a été extrêmement courageux de finir dans cet état, estime Pascal Chirat. Dans l’absolu, on attendait mieux qu’une septième place, mais si on prend en compte toutes les circonstances, on se dit : comment ce mec fait pour produire un tel niveau de performance dans l’état de fatigue dans lequel il était ? »

A 38 ans, Diniz a-t-il vécu ses derniers Jeux ? Avant Rio, il déclarait vouloir marcher jusqu’à Tokyo en 2020. Son calvaire brésilien le fera peut-être changer d’avis.