Accidents du travail : juniors en tête
Accidents du travail : juniors en tête
Propos recueillis par Elodie Chermann (Propos recueillis par)
Les jeunes connaissent plus d’accidents professionnels que leurs aînés. Analyse du phénomène par le professeur William Dab, titulaire de la chaire Hygiène et sécurité au Conservatoire national des arts et métiers.
Ancien interne des Hôpitaux de Paris et docteur es épidémiologie, le docteur William Dab a exercé comme directeur général de la santé de 2003 à 2005. En plus de son poste de directeur de l'Ecole Siti (Sciences Industrielles et Technologies de l'Information), il est aujourd’hui professeur titulaire des chaires « Hygiène et sécurité » et « Entreprises et santé » au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM). En 2015, il a publié La santé et le travail, 10 étapes pour une prévention efficace dans l’entreprise aux éditions Arnaud Franel. | D.R.
Comment expliquez-vous la surexposition des jeunes aux accidents professionnels ?
D’abord par notre marché de l’emploi. En décembre 2015, le taux de chômage des jeunes était de 25,9 % en France. Dans ce contexte, ceux qui parviennent à décrocher un poste sont prêts à tout pour le garder. Y compris, parfois, à mettre leur santé en danger. Ils ne le font pas forcément sciemment.
Les jeunes ont aussi souvent un sentiment d’invulnérabilité qui fait qu’ils se sentent peu concernés par les accidents ou la maladie. Mais ils ne peuvent pas anticiper ou prévenir les risques sans connaître l’environnement de travail et le processus de production qui règnent dans l’entreprise. Au fond, c’est moins l’âge qui fait le risque que l’inexpérience.
Est-ce uniquement une affaire de comportement ?
Quand un jeune collaborateur se blesse en courant dans les couloirs, l’entreprise ne retient, la plupart du temps que le fait qu’il courait. Or s’il courait, c’est peut-être qu’elle lui a imposé trop de contraintes en termes de délai. Le comportement est toujours le produit d’une personnalité et d’un environnement, d’une organisation. N’agir que sur le levier comportemental pour prévenir les accidents ne donne aucun résultat.
Comment sensibiliser les jeunes recrues aux questions de santé au travail ?
Aujourd’hui, la majorité des entreprises adoptent un discours répressif du type : « Faites pas ci, faites pas ça ». C’est totalement contre-productif parce que les jeunes ont spontanément tendance à défier l’autorité.
Mieux vaut rester factuel, leur expliquer qu’un certain nombre de pépins se sont déjà produits, avec des conséquences plus ou moins graves, et que, dans un souci préventif, une nouvelle organisation du travail a, depuis, été mise en place. Mais que pour préserver efficacement leur santé, il leur faudra aussi respecter un certain nombre de procédures. Si un jeune diplômé entend ça quand il commence son premier job, il y a fort à parier qu’il s’en souviendra toute sa vie.
Quel est l’intérêt pour l’entreprise ?
Comment voulez-vous entretenir la motivation, la loyauté et la capacité d’innovation de vos jeunes employés s’ils voient que vous vous moquez éperdument de leur santé et de leur sécurité ? Au-delà du volet social, une politique de santé au travail ambitieuse revêt aussi un enjeu très fort en termes d’image et de réputation. Non seulement vous attirerez beaucoup plus facilement de nouveaux talents mais, en plus, vos clients croiront davantage en la qualité de vos produits et de vos services. Comme disait le docteur Albert Schweitzer, « l’exemplarité n’est pas une façon d’influencer. C’est la seule ».
Il y a aussi un intérêt économique à agir sur la santé…
Evidemment ! Les accidents du travail et les maladies professionnelles coûtent très cher aux entreprises. La plupart des travaux économiques réalisés en Europe estiment que le coût des maladies liées au travail correspond à environ 3 % du PIB. En France, le montant des prestations versées aux victimes d’accidents du travail et de maladies professionnelles était de 8,8 milliards d’euros en 2012. Cela représente environ 45 millions de journées de travail perdues !
En outre, il faut prendre en compte les coûts indirects qui, eux, ne sont pas pris en charge par l’Assurance-maladie. Lorsqu’un salarié est absent pour raisons de santé, il faut le remplacer, ce qui implique non seulement un surcoût financier, mais aussi une désorganisation de l’activité, et donc une baisse de la productivité et de la qualité. Cela peut, en outre, altérer le climat, la confiance et le sentiment de sécurité en interne, et porter atteinte à l’image de la société.
Comment le message passe-t-il auprès des manageurs que vous accueillez au sein de la nouvelle chaire Entreprises et santé, inaugurée en octobre 2015 au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) ?
Aujourd’hui, les patrons ne perçoivent la santé que comme une contrainte improductive parce que toute la pression émane de l’extérieur : du juge, de l’assureur ou bien de l’inspecteur, du médecin ou du contrôleur du travail. L’ambition du CNAM est donc de les aider à s’approprier la prévention pour qu’ils l’envisagent enfin comme un levier d’efficacité et de performance.