Shinzo Abe vêtu de la cape et de la casquette de Super Mario lors de la cérémonie de clôture des Jeux olympiques de Rio. | Yu Nakajima / AP

C’est peu dire que l’image a fait sourire. La cérémonie de clôture des Jeux olympiques de Rio a été ponctuée par un clip de présentation des jeux de 2020, à Tokyo, conclue par l’apparition étonnante du premier ministre japonais, Shinzo Abe, déguisé en héros de jeu vidéo, Super Mario.

Japan's Prime Mister arriving to the Rio Olympics as Super Mario!
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Cet accoutrement inattendu a valu à M. Abe de nombreux commentaires aussi surpris qu’élogieux sur Internet – ainsi que quelques remarques plus aigres sur le contraste entre ce déguisement bonhomme et la politique militariste de son gouvernement.

  • Un cas classique de « marketing pays »

Pour le Japon, terre historique du manga et du jeu vidéo, ce déguisement en Super Mario s’inscrit pourtant dans la longue liste des clins d’œil de chaque pays organisateur aux clichés nationaux. La France n’y avait d’ailleurs pas échappé, avec sa cérémonie de french cancan en ouverture de l’Euro 2016. Les Jeux olympiques de Londres avaient quant à eux été marqués par le parachutage de la reine d’Angleterre de l’hélicoptère de James Bond.

James Bond and The Queen London 2012 Performance
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Quant à l’utilisation d’un personnage de jeu vidéo pour promouvoir un pays, il n’est pas l’apanage du Japon. La Pologne avait joué sur son savoir-faire en offrant à Barack Obama le jeu national The Witcher, tandis que plus récemment, en France, le ministère des affaires étrangères avait promu les lapins crétins « ambassadeurs » de la créativité et de l’économie françaises à l’international.

Si le déguisement d’un homme d’Etat, Shinzo Abe, en personnage de fiction marque un pas supplémentaire dans ce type de communication événementielle, il s’inscrit dans la même tendance, celle du « marketing pays », héritée des Etats-Unis et visant à développer la notoriété de sa nation en appuyant sur ses productions les plus célèbres à l’étranger. Durant deux minutes, outre le plombier de Nintendo, le comité d’organisation japonais a également mis en avant Pac-Man, un autre vétéran du jeu vidéo japonais, et le chat bleu Doraemon, star de manga depuis quatre décennies.

Curieusement, en revanche, il n’a pas été question de Pikachu, objet d’un spectaculaire retour en grâce depuis la sortie événement de Pokémon Go cet été, ni de Sonic, la mascotte de Sega, qui sera pourtant le seul éditeur de jeux vidéo officiellement sponsor des Jeux de 2020, sans que la raison en soit connue.

  • Pour le CIO, un support de communication prisé

Le jeu vidéo est depuis deux décennies et demie un support de communication prisé par le CIO. Leur histoire commune remonte au moins à 1992, et à un certain Barcelona ’92. Depuis, les JO ont été adaptés tous les deux ans jusqu’à aujourd’hui.

Olympic Gold: Barcelona 92 ... (Sega Genesis) 60fps
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Depuis 2008, les droits d’exploitation officiels de la série sont délégués à Sega, auteurs de simulations comme Beijing 2008 et London 2012, mais aussi de la série des Mario & Sonic aux Jeux olympiques, au contenu plus coloré et visant une cible plus jeune. Ils font pleinement partie du plan marketing du CIO, qui salue leur « immense popularité ». En 2012, Mario & Sonic aux Jeux olympiques de Londres, développé par l’éditeur japonais Sega, s’était écoulé à 3,28 millions d’exemplaires.

Mario et Sonic aux Jeux olympiques de Rio 2016 - Bande-annonce générale (Nintendo 3DS)
Durée : 02:54

En mettant en avant Mario, Shinzo Abe et le comité d’organisation de Tokyo 2020 tendent ainsi la main à la génération ayant découvert les Jeux olympiques sur console, avec les jeux de Sega. Dans le même temps, pour la première fois depuis 1992, aucune simulation réaliste « adulte » n’a accompagné ces olympiades.

  • Pour le jeu vidéo, une place à prendre

Les jeux vidéo, vecteurs de diffusion, peuvent aussi être des concurrents. La chaîne américaine NBC, qui a déboursé 12 milliards de dollars de droits télévisés pour la retransmission exclusive des JO jusqu’en 2032, a observé durant les Jeux de Rio une baisse d’audience de 17 % par rapport à l’édition londonienne de 2012, et même de 25 % chez les 18-49 ans. « Le sport est moins important aux yeux des plus jeunes. Il a été remplacé par d’autres choses comme les jeux vidéo, l’e-sport et les Snapchat », suggère Brandon Ross, analyste à BTIG Research, interrogé par Bloomberg.

Or, de son côté, en plein essor de l’e-sport, l’industrie du jeu vidéo se voit bien en nouvelle star médiatique, comme l’américain Activision. « On discute beaucoup de la manière dont on pourrait amener [le jeu vidéo de tir] Call of Duty aux Jeux olympiques », avait notamment déclaré son directeur du développement, Jay Puryear, en mai dans le Daily Star. « [...] Consommer du contenu par la vidéo en direct sur Internet fait partie de la culture de cette génération et une part de celle-ci consiste à regarder les parties des meilleurs joueurs [de jeu vidéo] », avait-il détaillé un mois plus tard dans les colonnes de Fortune.

L’idée est suffisamment prise au sérieux par l’industrie du jeu vidéo pour que l’association France e-Sport, créée cette année, ait ainsi le respect des valeurs de l’olympisme dans ses statuts, tandis que d’importants médias sportifs comme ESPN ou L’Equipe 21 multiplient les investissements dans le jeu vidéo depuis quelques mois. Plus qu’une pirouette promotionnelle, le déguisement de Shinzo Abe est peut-être, espèrent certains médias et industriels, le signe précurseur de la place grandissante des jeux vidéo aux JO.