A Athènes, des réfugiés à l’entrée des services d’asile, le 22 août. | LOUISA GOULIAMAKI / AFP

En février dernier, les pays du nord de l’Europe fermaient leurs frontières et des dizaines de milliers de réfugiés se retrouvaient bloqués en Grèce. Dans la foulée, le 18 mars, l’Union européenne et la Turquie signaient un accord visant à tarir le flux de nouvelles arrivées vers les côtes grecques. En échange de 6 milliards d’euros et de la promesse de pouvoir envoyer légalement vers l’Europe 72 000 Syriens, la Turquie acceptait de lutter contre les passeurs et de retenir ainsi les quelque 2,7 millions de réfugiés syriens présents sur son territoire.

Dans l’urgence, la Grèce a dû créer des dizaines de camps à travers tout le pays pour accueillir la population de réfugiés, bloquée sur son territoire après ces accords. Cinq mois plus tard, il y a toujours près d’une cinquantaine de camps installés. Mais les autorités ont-elles une idée précise du nombre de réfugiés présents sur le territoire ?

« Une cartographie précise des migrants »

Le ministre adjoint à la politique migratoire, Yannis Mouzalas a présenté mardi 23 août les résultats d’une vaste opération de recensement menée conjointement depuis juin par le service d’asile grec et le Haut-commissariat aux réfugiés de l’ONU (HCR).

Selon M. Mouzalas, il y aurait aujourd’hui en Grèce 54 000 personnes dont 11 322 retenues dans les centres d’accueil (hotspots) des îles de la mer Egée. Le reste des réfugiés est réparti à travers tout le territoire, soit dans des camps administrés par l’armée, soit dans des hébergements (hôtels, appartements, etc.) gérés par le HCR, soit encore dans des campements sauvages où seules agissent les ONG.

Environ 7 500 réfugiés, principalement des Syriens et des Irakiens, ont été jugés par le service d’asile grec éligibles à la relocalisation, selon l’accord conclu en septembre 2015 et qui prévoit la répartition de plus de 60 000 réfugiés dans tous les pays de l’UE d’ici à fin 2017. Ils attendent donc que les pays de l’UE tiennent leur promesse et ouvrent des places pour les accueillir. D’autres, notamment les Afghans exclus du programme de relocalisation, ont déposé une demande d’asile en Grèce. Près de 2 000 réfugiés ont, quant à eux, donné leur accord pour un retour volontaire dans leur pays.

« Avoir une cartographie précise des migrants présents sur notre territoire nous permet de dresser une liste précise de nos besoins à court et moyen terme », explique Odysséas Voudouris, secrétaire générale en charge des réfugiés, au ministère de la politique migratoire :

« Combien de places d’accueil dans les camps ? Doit-on en créer des nouveaux ou plutôt organiser des transferts ? Quels besoins en nourriture et donc quel budget cela représente-t-il ? Autant de défis logistiques qui nécessitent un recensement rigoureux. »

Ecart statistique

Les chiffres de 54 000 personnes donné par le ministre mardi a néanmoins de quoi surprendre. Le bulletin délivré quotidiennement par les autorités grecques, décrivant le nombre de migrants enregistrés à leur arrivé sur les îles et répartis sur le continent, évoque, lui, 58 472 personnes.

Un écart de plus de 4 000 personnes qui est loin d’être anodin. Aujourd’hui, c’est l’armée grecque qui gère la grande majorité des camps et délègue notamment, par des procédures d’appels d’offres, la livraison de portions alimentaires aux réfugiés. Le coût de l’opération – supporté principalement par le budget de l’Etat mais aussi par des fonds européens – est de 5,50 euros par réfugié pour trois repas par jour. « Payer les fournisseurs pour 54 000 personnes ou 58 000 cela crée un écart quotidien de près de 20 000 euros, soit près de 600 000 euros par mois : nous devons contrôler ce chiffre et ajuster en conséquence », reconnaît une source gouvernementale.

L’UE, d’ailleurs, ne s’y trompe pas. C’est elle qui fait pression sur le gouvernement grec pour obtenir des chiffres précis afin d’ajuster l’aide humanitaire promise à la Grèce. Actuellement, la majorité des fonds débloqués par l’UE sont directement affectés à des programmes gérés par des ONG ou par le HCR. L’Etat grec est souvent contourné.

« Il y a un manque de confiance, c’est vrai, puisque nous n’arrivons pas à obtenir des chiffres fiables sur le nombre de migrants présents en Grèce. Nous leur demandons combien de femmes, d’hommes ou d’enfants en âge d’être scolarisés. Et les résultats restent approximatifs », s’impatiente une source européenne proche du dossier.

« Comment avoir des listes aussi précises lorsque les données changent tout le temps ?, répond-on du côté de l’Etat grec. Nous n’avons pas compté les gens en prison. Ce sont des réfugiés libres de circuler. [Ils peuvent décider d’aller] soit d’un camp à l’autre, soit de vivre en ville, soit de tenter de continuer leur route illégalement, même si nous surveillons nos frontières. »

Reprise du trafic des passeurs

Une partie des migrants, estimée par M. Mouzalas à environ 4 000 personnes, a en effet refusé d’entrer dans une procédure d’asile ou de départ car préfère coûte que coûte tenter de rejoindre l’Europe du nord. Le trafic des passeurs, un temps « assoupi » lorsque les frontières étaient ouvertes, entre juillet 2015 et février, a donc repris de plus belle. Les frontières macédonienne, albanaise et bulgare sont officiellement fermées, mais des trafics ont bien lieu. Autour de la gare de Thessalonique (nord de la Grèce) où s’entassent des familles afghanes entières, les passeurs proposent le passage à pied vers la Macédoine pour 800 euros par personne. Ou 1 200 euros pour aller jusqu’à la Serbie.

Pour M. Mouzalas, le recensement permet de « commencer à ordonner le chaos » provoqué en février par la fermeture de la route des Balkans. « Nous pouvons réussir à gérer à terme les quelque 30 000 personnes vouées à rester sur notre territoire », affirme Odysséas Voudouris, au ministère de la politique migratoire. Seule inquiétude affichée des autorités grecques : que la Turquie rouvre les vannes et laisse à nouveau débarquer des centaines de milliers de réfugiés sur les îles de la mer Egée. La Grèce serait alors totalement et très rapidement dépassée.