Neimatou, au Burkina : « Comment j’ai découvert que ma bonne avait été excisée »
Neimatou, au Burkina : « Comment j’ai découvert que ma bonne avait été excisée »
Propos recueillis par Matteo Maillard (Ouagadougou, envoyé spécial)
Série : Un combat pour la vie (19). Entretien croisé à Ouagadougou entre Zenabou, gravement mutilée enfant, sa patronne Neimatou et le médecin qui a reconstruit le sexe de l’adolescente.
Elle est encore assise sur la table d’examen. Pieds et mains croisés, comme si elle posait pour un peintre imaginaire. Son regard à la fois sombre et doux porte vers un objet invisible. Sa mélancolie remplit la pièce. Zenabou. Une bonne à l’allure de reine. A 15 ans, elle a déjà enduré la douleur d’une excision que sa famille lui a imposée enfant. Un fardeau qu’elle a porté en silence des années durant. Même Neimatou Sawadogo, sa patronne et tutrice, n’en savait rien.
Aujourd’hui, un mois après avoir bénéficié d’une vaginoplastie pour réparer les dégâts de la mutilation, Zenabou, la petite bonne, est revenue avec sa patronne, Neimatou, sur les lieux de l’opération. Nous sommes dans la clinique du docteur Michel Akotionga, l’un des plus grands spécialistes de la reconstruction vulvaire au Burkina Faso. Toutes deux ont accepté de témoigner à visage découvert.
Neimatou, comment avez-vous rencontré Zenabou ?
La patronne Par l’intermédiaire d’un oncle originaire du même village qu’elle dans la région du Plateau-Central. Il me l’a amenée en décembre 2014 pour que je lui donne du travail à Ouagadougou comme bonne et nounou, car j’allais bientôt accoucher.
Comment était-elle chez vous ?
La patronne A la maison, elle était malheureuse. Souvent assise, triste ou pensive. Je lui demandais : « Qu’as-tu ? » Elle me répondait : « Rien. » J’ai toujours essayé de la mettre à l’aise car elle s’occupe de mon enfant. Je lui disais : « Je te fais des cadeaux, je te fais sortir mais quel est ton problème, pourquoi es-tu toujours triste ? » Maintenant, je comprends son mal. Elle pouvait à peine uriner, car la cicatrice de l’excision avait refermé tout son vagin, ne laissant qu’un trou minuscule. C’était comme si elle n’était ni femme ni homme. Elle n’avait pas de sexe.
Vous n’aviez pas compris qu’elle avait été excisée ?
La patronne Non, elle n’a jamais parlé de ses problèmes. Elle me disait juste qu’elle avait des maux au bas-ventre, alors je lui donnais des calmants, croyant que c’était les règles. Sa mère m’a caché que sa fille avait été excisée.
Le médecin Parce que c’est un tabou !
La patronne Je l’ai compris quand elle est retournée au village pendant les congés de Pâques cette année pour voir sa famille. Ses difficultés à uriner ont empiré là-bas. Zenabou a dit à sa mère que si elle ne trouvait pas une solution, elle ne reviendrait pas de Ouagadougou la prochaine fois. Sa mère m’a appelée pour m’avertir que Zenabou aller prolonger son séjour au village et voir l’exciseuse.
Le médecin Mais l’exciseuse ne peut pas faire ça, elle allait lui bousiller la vessie !
La patronne C’est pour ça que j’ai dit non et que j’allais plutôt l’emmener à l’hôpital. Zenabou avait peur car l’excision est interdite au Burkina. Elle pensait que les médecins allaient l’emmener à la gendarmerie.
Qui a décidé de l’excision de Zenabou ?
La patronne C’est son père. C’est toujours le père. C’est la coutume. Comme elle, ses quatre sœurs aussi ont été excisées. Au téléphone, sa mère s’est excusée : « J’étais obligée de le faire pour la coutume, pardonne-moi. » Après son excision, Zenabou souffrait de saignements, mais son père n’a pas voulu l’emmener au dispensaire de peur d’être dénoncé. Au téléphone, j’ai dû lui dire que sa fille risquait de perdre beaucoup de sang et de mourir s’il ne me laissait pas l’emmener à l’hôpital. Il m’a enfin donné sa bénédiction.
Sawadogo Neimatou se tourne vers Zenabou, toujours assise, silencieuse, sur la table d’examen. Elle lui demande de raconter son histoire. La jeune fille hésite, n’ose parler, dit qu’elle ne se souvient plus. Et enfin se lance.
La bonne J’ai été excisée à 7 ans. C’est une femme qui m’a fait ça, avec une lame de rasoir. Elle est venue à la maison. Ceux qui l’accompagnaient ont dit aux gens de sortir pour qu’ils ne voient pas. Par surprise, ils m’ont attrapé les pieds, ils m’ont allongée sur un pagne et ils m’ont coupée. J’ai beaucoup saigné. J’avais très mal pendant dix jours.
Ont-ils aussi fait ça aux autres filles du village ?
La bonne Oui. Le même jour, à cinquante filles. Il y en a même une qui est morte.
Pourquoi ont-ils fait ça ?
La bonne Je ne sais pas. Ils ont dit qu’ils le faisaient pour nettoyer les saletés.
As-tu pu aller à l’école après ?
La bonne Non, je ne suis jamais allée à l’école. Je travaillais aux champs. Je cultivais le mil et le maïs.
Etais-tu heureuse de venir à Ouagadougou ?
La bonne Non, je ne voulais pas. Je ne savais pas ce qui allait arriver. J’avais peur de laisser ma famille et mes amis.
La patronne Quand je me suis rendu compte qu’elle avait été excisée, j’ai appelé le docteur Akotionga. J’avais entendu parler de lui. Tout le monde le connaît ici. Je sais qu’il répare les femmes.
Docteur, quand avez-vous opéré Zenabou ?
Le médecin La première intervention a eu lieu le 10 avril. Il fallait débrider, c’est-à-dire ouvrir la cicatrice qui s’était formée. On y est allé petit à petit. On a pu dégager l’orifice du vagin. On l’a élargi puis suturé les berges. La deuxième intervention a eu lieu le 13 avril pour refermer le vagin. On a opéré en deux temps car Zenabou avait mal et saignait abondamment. On a donc attendu qu’elle soit guérie avant de poursuivre.
Matteo Maillard
Zenabou le regarde et souffle : « J’avais peur du docteur. »
Le médecin Il faut comprendre qu’elle a été traumatisée par l’exciseuse. Et c’était la première fois qu’elle voyait un vrai docteur. Heureusement, l’opération s’est bien déroulée.
Comment te sens-tu Zenabou ?
La bonne Je me sens bien, maintenant. J’ai toujours des douleurs, la plaie brûle encore, mais je peux uriner normalement et je n’ai presque plus mal au ventre.
Le médecin Il y a trois niveaux d’excision selon la classification de l’Organisation mondiale de la santé. La première est une ablation du clitoris. La deuxième, on coupe aussi les petites lèvres. La troisième comprend les grandes lèvres. Zenabou a eu une excision de type 3. Une ablation totale.
Avez-vous pu reconstruire tout son vagin ?
Le médecin Non, pas le clitoris. On cherche la fonctionnalité d’abord. Lui permettre d’uriner et d’avoir ses règles sans douleur, et des rapports sexuels. Le clitoris… c’est un peu du luxe. Ça permet de se sentir mieux dans sa peau, mais ce n’est pas indispensable à la bonne santé. La réparation du vagin est gratuite, payée par l’Unicef et le Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA), mais la restauration clitoridienne est payante.
Elle coûte combien ?
Le médecin Les cliniques demandent 250 000 francs CFA (380 euros).
Zenabou pourra-t-elle s’offrir cette opération un jour ?
Le médecin Jamais. Sauf si elle trouve un homme riche. C’est au-dessus des moyens de la plupart des Burkinabés.
Elle ne pourra donc jamais ressentir de plaisir clitoridien ?
Le médecin Les femmes excisées vivent leur vie sexuelle correctement. Elles ont préservé les terminaisons nerveuses qui remontent jusqu’aux petites lèvres. Et le point G dont on parle tellement. Mais vous savez, même avec une réparation intégrale, on ne retrouve jamais les sensations complètes. C’est cicatriciel. Les terminaisons nerveuses sont prises dans la sclérose.
Que va-t-il se passer pour elle, maintenant ?
Le médecin On va la voir toutes les semaines jusqu’à sa guérison. Elle est sous antibiotiques et sous antiseptiques. Ça va prendre de deux à six semaines.
Zenabou, ressens-tu de la colère envers les gens qui t’ont fait ça ? Envers tes parents ?
La bonne Je suis fâchée contre l’exciseuse. Contre mes parents aussi… mais ce sont mes parents. Je ne peux pas leur en vouloir. Je n’ai pas le choix. Je leur ai pardonné.
Vas-tu retourner les voir ?
La bonne Maintenant, je préfère vivre ici à Ouaga. Mais j’irai leur rendre visite au village quand je pourrai.
La patronne Je lui ai dit que quand mon enfant ira à la maternelle, dans deux ans, je la mettrai aussi à l’école. Elle m’a répondu non, qu’elle préférait vendre de l’eau. Mais je la scolariserai quand même.
Elle devra tout rattraper depuis la primaire ?
La patronne Oui, mais il n’y a pas d’âge pour apprendre. Il y a des cours du soir. J’ai une belle-sœur dont la domestique est entrée en primaire cette année. Zenabou, je la prendrai sous mon aile. Je sens qu’au fond, elle est frustrée de n’être jamais allée à l’école.
Le médecin Moi, mon boy, je l’ai mis à l’école. Il a eu son BEPC et on l’a inscrit à des études de santé en cours du soir. Désormais, il m’assiste au bloc opératoire.
Zenabou, tu veux des enfants, plus tard ?
Le médecin Ce n’est pas une question en Afrique !
La bonne Oui, j’en veux. Autant que Dieu pourra m’en donner. Et je jure que jamais je ne les exciserai, coutume ou pas.
Neimatou manifeste l’envie de clore l’entretien.
La patronne Je tiens à remercier le médecin pour tout ce qu’il fait pour les femmes. Je lui ai dit que le jour où nous irons chez le bon Dieu, toutes les femmes l’applaudiront et il ira directement au paradis. Pas de jugement pour le professeur Akotionga !
Le sommaire de notre série « Un combat pour la vie »
Voici, au fur et à mesure, la liste des reportages de notre série d’été à la rencontre des femmes du Sahel. Le voyage va nous mener du Sénégal aux rives du lac Tchad. En tout, 27 épisodes, publiés du 1er août au 2 septembre 2016.
Cet article est un épisode de la série d’été du Monde Afrique, « Un combat pour la vie », qui va nous mener du Sénégal aux rives du lac Tchad, 4 000 km que notre reporter Matteo Maillard a parcourus entre avril et juin 2016.