« Nerve », le film de science-fiction tellement proche de la réalité
« Nerve », le film de science-fiction tellement proche de la réalité
Par William Audureau
De Periscope à Twitch en passant par le Dark Web et les Anonymous, le thriller des auteurs de « Paranormal Activity 3 » et « 4 » mettent en lumière le monde d’aujourd’hui.
Image tirée du film « Nerve », d’Ariel Schulman et Henry Joost. | Nerve
Cet article ne dévoile pas la trame du film mais évoque des éléments qui, pour certains, sont utilisés dans sa dernière partie.
Un jeu Internet qui réunit des milliers de jeunes dans une compétition voyeuriste, narcissique et dangereuse : c’est le pitch, pas si fantaisiste, de ce thriller dystopique sorti le 24 août en salles et à la réception enthousiaste.
Officiellement, l’histoire se déroule en 2020. Dans le monde qu’il dépeint, une application clandestine du nom de Nerve fait fureur auprès d’une jeunesse en mal de spectacle et de sensations fortes. Les utilisateurs se rangent en deux catégories, les « joueurs », qui se filment en train de réaliser des défis de plus en plus fous, à la recherche de gains financiers et de notoriété, et les « voyeurs », qui choisissent les défis en question, et tout en commentant en direct, les regardent les réussir, échouer ou abandonner.
NERVE Bande Annonce VF (2016)
Durée : 02:26
Le film d’Ariel Schulman et Henry Joost (Paranormal Activity 3 et 4, 2011) cible ouvertement les 12-25 ans, qui n’auront aucune peine à retrouver les innombrables clins d’œil de Nerve à leur écosystème quotidien : plus qu’une œuvre de science-fiction, ce long-métrage est une synthèse critique des réseaux sociaux d’aujourd’hui et se nourrit d’applications existantes et d’anecdotes réelles.
« Joueurs » et « voyeurs » existent déjà
L’idée même d’une application qui consiste à se filmer, à « performer » en direct devant sa communauté et d’en retirer des gains financiers existe déjà. C’est le cas du site de streaming de jeux vidéo en direct Twitch, qui a popularisé la dichotomie entre le caster (le diffuseur, celui qui se montre), et les viewers (les spectateurs). Les premiers, comme dans Nerve, sont classés en fonction de leur audience simultanée, tandis que les seconds peuvent soutenir financièrement leurs stars virtuelles préférées, soit par un don direct, soit sur Patreon, un site de récolte d’argent en faveur des talents du Web.
Real Life First Person Shooter (Chatroulette version)
Durée : 09:09
Si Twitch consiste surtout à diffuser des parties de jeux vidéo, il a déjà été détourné maintes fois, pour utiliser la réalité comme théâtre. A l’image du projet Forged Fate, jeu d’aventures scénarisé qui se déroule dans la vraie vie, filmé en direct, et où les spectateurs sont invités à voter pour les actions que doit réaliser le caster. L’un des plus célèbres a eu lieu en 2015 : un internaute s’est amusé à mimer un jeu vidéo en vrai, en direct sur Chatroulette, un logiciel de conversation vidéo entre inconnus, sans toutefois de prise de danger réelle.
Si aucune application spécialisée dans les défis n’existe en tant que tel, certains vidéastes sur YouTube se sont spécialisés dans les challenges idiots, comme Matt, l’auteur de la chaîne FunnyMeNow. Au début du mois de juillet, Metronews listait les plus populaires du moment : manger des bonbons au goût de vomi ou prendre un bain de gelée bleue. En 2015, l’un des plus courus consistait à se laisser tomber un préservatif rempli d’eau sur la tête pour s’en faire un casque-bocal loufoque.
Top 10 YouTube Challenges of 2016 (so far)
Durée : 17:51
Un écho à Anonymous, aux trolls et au harcèlement
La principale ficelle narrative de Nerve tient au sadisme de ses « voyeurs », qui décident de défis de plus en plus inconscients. Un écho, là aussi, à la réalité : l’anonymat et l’effet de foule qui prédominent sur certains logiciels et forums donnent parfois à voir des dérives bien connues, comme les remarques sexistes, le harcèlement en ligne et les challenges suicidaires, dont certaines communautés se sont rendues coupables ces dernières années.
Les internautes issus de cette galaxie sont accusés de nombreuses actions collectives douteuses, qui vont de la farce de lycéen à la mise en danger de la vie d’autrui. En 2012, sur un mode très proche de celui décrit dans le film, le site 4chan détourne un sondage en ligne pour défier le chanteur Justin Bieber de donner un concert en Corée du Nord.
Plus récemment, une horde de libertariens anarchistes a inondé l’actrice noire américaine Leslie Jones d’insultes sexistes et racistes, publiant ses informations personnelles et des photographies de nu. Difficile de savoir combien se retrouvent de l’un à l’autre : par définition, ces mouvements anonymes anarchistes ne permettent pas de tracer l’évolution de leurs membres.
Qui sont les watchers ? Sont-ils un chiffre ? Des inconnus ? Des proches ? Des farceurs masqués aux intentions troubles ? Jusqu’où la foule est-elle capable d’aller ? Ce sont ces inquiétudes, très actuelles, qui traversent le film, qui n’hésite pas à reprendre l’esthétique et la voix robotisée des annonces Anonymous pour introduire les règles du jeu. En creux, une critique des mouvements anonymes, rigolards et irresponsables nés sur 4chan, depuis dispersée sur plusieurs forums sulfureux comme 8chan ou Voat, et désormais sujet de préoccupation pour les géants du Web comme Twitter.
How to get the Anonymous voice
Durée : 00:56
Une vision naïve du Dark Web
Nerve n’occulte aucun aspect de l’écosystème actuel des nouvelles technologies – quitte parfois à donner l’impression d’un « Gloubiboulga ». L’un des héros, geek, n’est ni « joueur » ni « voyeur », mais un simple passionné d’informatique rompu aux régions moins courues d’Internet : le Dark Web, ce réseau parallèle anonymisé où cohabitent opposants politiques et marchands d’armes. C’est aussi là où le film se mélange le plus les pinceaux.
Lorsqu’il explique que « seul 10 % d’Internet est accessible », il confond avec le Deep Web, cette partie d’Internet qui n’est ni anonymisée ni sulfureuse, mais tout simplement inaccessible car mal indexée, à l’image d’une cave remplie de cartons de déménagement que plus personne ne pense à venir ouvrir.
Le film aborde également de manière confuse le piratage. On y apprend que l’application Nerve est vulnérable, car elle est en open source, c’est-à-dire que son code est public, comme c’est le cas, par exemple, des logiciels Linux ou Firefox. Or, la plupart des experts estiment qu’un code ouvert est plus difficile à pirater : il permet à n’importe qui de l’inspecter afin d’y détecter d’éventuelles failles, pour les corriger et rendre l’application plus sûre. Cela n’est pas systématique : certaines applications open source comportent des failles.
Dans Nerve, des armées d’ordinateurs zombies peuvent permettre de détourner un vote, ce qui est en revanche vrai, mais n’a pas grand-chose à voir avec du piratage à proprement parler. Difficile pour autant de lui en tenir rigueur, outre que le cinéma impose parfois certains raccourcis, rares sont les films à aborder le monde des nouvelles technologies avec autant de proximité et d’envie.