A Bratislava, un sommet européen pour « reprendre le contrôle »
A Bratislava, un sommet européen pour « reprendre le contrôle »
Par Cécile Ducourtieux (Bruxelles, bureau européen), Blaise Gauquelin (Vienne, correspondant)
Fragilisée par ses crises successives, divisée, l’Union européenne veut engager, vendredi, un nouveau processus de réflexion pour se relancer.
Quel est l’enjeu du sommet de Bratislava, premier rendez-vous des dirigeants européens, sans les Britanniques, vendredi 16 septembre, dans la capitale slovaque ? Les vingt-sept membres de l’Union européenne (UE) se contenteront-ils d’une photo de famille au bord du Danube ou parviendront-ils à taire leurs divisions, et à s’accorder sur un programme minimal pour relancer l’Europe post-Brexit ?
Le rendez-vous, décidé fin juin, dans la foulée du référendum britannique, est en tout cas historique. S’il se solde par un échec, l’UE risque de s’enfoncer dans un processus de délitement.
Deux mots d’ordre : unité et confiance
Donald Tusk, le président du Conseil européen, a deux priorités. D’abord, que les dirigeants parviennent à mettre de côté leurs différends, à s’entendre sur la nécessité de « reprendre le contrôle » de la situation afin de tourner la page de 2015 et de sa chaotique crise des réfugiés. Et qu’ils fassent de la « sécurité », intérieure (terrorisme), et extérieure (migrations), premier sujet de préoccupation des citoyens de l’UE, leur priorité absolue.
Le président du Conseil européen, Donald Tusk s’adresse aux journalistes à son arrivée à Bratislava, le 15 septembre. | JOE KLAMAR / AFP
M. Tusk veut que les vingt-sept dirigeants reconnaissent que « le Brexit n’est pas seulement un problème britannique. Il est le révélateur d’une inquiétude que l’on retrouve partout en Europe », précise un diplomate bruxellois. Pour enrayer la montée des populismes, les gouvernements doivent regagner la confiance de leurs concitoyens, en s’attaquant aux « vrais problèmes ».
Sécurité et défense, des sujets prioritaires
La sécurité et la défense seront au cœur des discussions. De fait, ce sont actuellement les seuls sujets de consensus dans l’UE. Le terrorisme islamiste a replacé au premier plan ces deux thèmes intimement liés et négligés durant des années.
Longtemps jugée diffuse, irréelle, la menace a pris corps avec le conflit ukrainien et les attentats. De quoi relancer les interrogations sur la défense commune et la possibilité de faire naître une « Europe puissance ».
Mais les discussions, à Bratislava, devraient porter sur des objectifs modestes. Les Vingt-Sept examineront principalement les propositions franco-allemandes sur la sécurité et la défense. Paris et Berlin veulent un déploiement sur le terrain plus rapide et plus massif du corps de gardes-frontières européens, le contrôle systématique de toutes les personnes entrant et sortant de l’UE et prônent l’allocation de fonds européens pour aider à la recherche et au développement dans l’industrie de défense. L’absence des Britanniques devrait faciliter la discussion : depuis des années, ils faisaient barrage à toute velléité d’avancer vers une défense européenne plus intégrée.
L’occasion d’aplanir les divisions
Ces derniers mois, l’UE a donné l’image de la division. Nord contre Sud, Est contre Ouest, pays riches contre pays pauvres. Les dirigeants bruxellois s’agitent depuis le début de l’été pour éviter que les lignes de fractures ne s’élargissent. A la veille de Bratislava, beaucoup espèrent que ce ballet diplomatique a porté ses fruits.
Les sujets économiques devraient rester au second plan, et ce afin d’éviter un affrontement entre tenants de l’austérité budgétaire (Allemagne, pays du Nord) et partisans de la relance budgétaire (Portugal, Grèce, Italie,…). Idem pour les questions d’immigration.
La rencontre de vendredi risque par ailleurs de ne pas être le sommet du réveil politique de l’Europe de l’Est dont certains rêvaient. Depuis Varsovie et Budapest, on promettait l’émergence d’une offre capable de relancer l’UE meurtrie par le Brexit. Mais cette « contre-révolution » prônée par le premier ministre hongrois, Viktor Orban, avec un retour aux Etats nations et une commission de Bruxelles affaiblie, tous les pays du « groupe de Visegrad » (V4, Slovaquie, République tchèque, Pologne, Hongrie) ne sont pas prêts à y adhérer.
Leur dernière rencontre, début septembre, s’est mal passée, selon plusieurs diplomates. Jeudi, à la veille du sommet, les dirigeants de ces pays n’avaient pas communiqué de proposition détaillée pour relancer l’UE.
Depuis le Brexit, le V4 semble s’être scindé en deux. A part le refus en bloc des migrants, ses membres s’opposent sur bien des sujets. Le gouvernement slovaque assurant la présidence tournante de l’UE (jusqu’à fin 2016), il se doit de jouer les conciliateurs. Son premier ministre, le populiste de gauche Robert Fico, allié à l’extrême droite, ne veut pas être l’hôte du sommet qui actera les divisions européennes.
Prague a également pris ses distances. La République tchèque est économiquement si dépendante de l’Allemagne qu’elle jouit de fait d’une latitude politique relative sur les dossiers européens. Et « la confrontation entre le Visegrad et la Commission est de plus en plus jugée comme étant artificielle » dans ces deux pays, assure Martin Michelot, du think thank Europeum. « Ils ne veulent pas se faire entraîner par la Pologne et la Hongrie », ajoute-t-il.
Le Brexit en toile de fond
Il ne devrait quasiment pas être question du Brexit à Bratislava, pour la bonne raison que les Britanniques n’ont toujours pas activé le fameux article 50 des traités européens, dictant les conditions de leur sortie de l’UE. Les Vingt-Sept ont clairement dit qu’ils n’accepteraient aucune négociation avec Londres avant le déclenchement de cet article. Depuis, tout le monde attend que la première ministre Theresa May « appuie sur le bouton ».
Les dirigeants devraient cependant rappeler leurs « lignes rouges ». Pas question pour le Royaume-Uni de prétendre avoir encore un accès total au marché intérieur et à ses 500 millions de consommateurs si le pays ne respecte pas les quatre libertés, qui y sont attachées : liberté de circulation des biens, des capitaux, des services et surtout des personnes. « Une grande majorité des Vingt-Sept partage ces lignes rouges », assure Martin Schulz, le président du Parlement européen.
Si les dirigeants de l’UE continuent à presser Mme May de déclencher l’article 50, tout le monde a bien conscience que les Britanniques sont en pleine confusion et ont besoin de temps pour définir une stratégie. A Bruxelles, certains officiels redoutent que le Brexit n’ait pas lieu avant la fin de la mandature Juncker.
Les conditions d’un succès
Ce sommet informel ne donnera pas lieu à des conclusions très longues ni à des prises de décisions fracassantes. « Bratislava doit être la première étape d’un processus de réflexion et de travail à vingt-sept. Il sera suivi du Conseil européen d’octobre [à vingt-huit, plutôt consacré à l’économie], et de celui de décembre, qui sera l’occasion d’acter les projets lancés dans la défense », explique un diplomate bruxellois.
M. Tusk et les autres dirigeants pourraient aussi décider de se revoir entre fin janvier et février, à La Vallette (Malte), avant de conclure le « processus de Bratislava », par un grand moment aussi symbolique que constructif, espèrent-ils, à Rome en mars 2017, pour les soixante ans du traité de Rome.