Deutsche Bank : le jeu dangereux de Washington vis à vis des banques européennes
Deutsche Bank : le jeu dangereux de Washington vis à vis des banques européennes
LE MONDE ECONOMIE
Les Etats-Unis menacent Deutsche Bank d’une amende colossale de 14 milliards de dollars, faisant peser un risque qui pourrait déstabiliser les marchés financiers
Logo du géant allemand, à l’occasion de l’assemblée des actionnaires du 19 mai 2016, à Francfort. | DANIEL ROLAND / AFP
C’est une posture de négociation classique, enseignée dans toutes les bonnes écoles de management qui s’appelle « l’ancrage par le haut ». En réclamant 14 milliards de dollars (12,5 milliards d’euros) à Deutsche Bank pour solder des manquements supposés sur le marché hypothécaire américain, le ministère de la justice américain espère sans doute transiger à beaucoup moins.
Goldman Sachs s’était d’ailleurs vu infliger une facture initiale de 15 milliards de dollars, selon le Financial Times, avant de finalement signer un accord à 5 milliards de dollars en janvier 2016 avec le département de la justice américaine.
Mais, en attendant de connaître l’addition finale, le premier montant articulé a de quoi faire frémir, comparé aux 18 milliards d’euros que pèse Deutsche Bank en Bourse. « Le marché anticipait une amende aux alentours de 4 à 5 milliards de dollars », souligne Jérôme Legras, associé et directeur de la recherche chez Axiom AI.
Alors que le niveau de fonds propres de la banque allemande était déjà jugé insuffisant par les opérateurs, la banque n’aurait d’autre choix que d’augmenter massivement son capital. « Ce serait très compliqué pour Deutsche Bank d’aller solliciter ses actionnaires pour une dizaine de milliards d’euros, mais pas complètement impossible. En Italie, Unicredit envisagerait une levée de fonds massive alors que la banque italienne capitalise 13 milliards d’euros », estime M. Legras.
Mutation difficile du secteur
Ce serait plus simple, toutefois, dans un climat apaisé. Or, les banques européennes connaissent une période de mutation difficile, marquée par une remise en cause de leur modèle économique.
Les actions des BNP Paribas, Deutsche Bank et autres UBS ont même subi des ventes paniques en janvier 2016, alors que les investisseurs s’inquiétaient de leur capacité à maintenir leurs profits dans un monde de taux bas, voire négatifs.
L’aplatissement de la courbe des taux – c’est-à-dire l’écart de rendement de plus en plus ténu entre le court et le long terme – prive les établissements de crédit des profits traditionnels consistant à transformer en prêts à quinze ans les dépôts des clients. A cela s’ajoute la pression continue des régulateurs qui écrase la rentabilité des activités de banque d’investissement.
Culture de risque excessive
comme l’une des banques les plus systémiques au monde
Dans cet univers tourmenté, Deutsche Bank occupe une place à part. Le géant allemand est d’abord considéré comme l’une des banques les plus systémiques au monde, c’est-à-dire dont un éventuel défaut pourrait provoquer un effet de dominos sur le système financier mondial.
Surtout, la banque allemande, qui a démontré une culture de risque excessive par le passé, n’inspire pas confiance. Au point que les marchés aiment se faire peur en lançant, tous les deux mois environ, une rumeur de faillite de l’institution.
« Il y a un phantasme Deutsche Bank. C’est la victime favorite des gens qui voient les marchés financiers comme un gigantesque château de cartes », poursuit M. Legras : « Si les 14 milliards d’euros d’amende se confirmaient, ce que je ne crois pas, il y aurait une forte instabilité sur les marchés en attendant que Deutsche Bank trouve le moyen de combler son financement. »
Sévérité américaine
Autant d’enjeux que les Etats-Unis n’ignorent pas. Cela n’a pas empêché Washington d’afficher des exigences colossales, même si une partie seulement serait déboursée en cash.
Cette sévérité fait d’ailleurs s’interroger, de ce côté-ci de l’Atlantique, sur la coïncidence de cette annonce avec l’amende de 13 milliards d’euros infligée, le 30 août, par la Commission européenne à l’américain Apple pour avoir obtenu des « avantages fiscaux indus auprès de l’Irlande ». La réponse du berger à la bergère ?