Le tournant sécuritaire français vu de l’intérieur
Le tournant sécuritaire français vu de l’intérieur
Par Nathalie Guibert
Le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale publie pour la première fois un rapport annuel, vendredi 16 septembre, où il analyse la tension croissante qui marque le pays depuis début 2015.
Un soldat de l’opération « Sentinelle », à Paris, le 25 juillet. | IAN LANGSDON / AFP
Sa mission doit rester obscure, mais il faut bien rendre des comptes, à l’heure où l’Etat accroît de façon significative les budgets de la lutte contre le terrorisme. Le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), organe dépendant du premier ministre, publie pour la première fois un rapport annuel, vendredi 16 septembre. Entre les lignes de l’exercice, par essence très général et formel, le document livre un concentré de la tension sécuritaire qui a marqué le pays depuis les attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher de Paris début 2015.
Sur l’année 2015, le gouvernement a ainsi modifié 26 fois le plan Vigipirate contre 5 fois en période normale. Les « postures de sécurité » de ce plan, définies hier pour la COP21, actuellement pour la rentrée scolaire, demain pour les fêtes de Noël, impliquent de plus en plus de ministères. Le plan rénové comprend 316 mesures concrètes, depuis l’interdiction de toute activité aérienne sur certaines portions de territoire jusqu’aux routes d’évacuation des jeunes ressortissants Français scolarisés à l’étranger. Depuis un an, l’armée doit pouvoir mobiliser en permanence 7 000 soldats sur le territoire contre 1 500 dans l’ancien Vigipirate. Par ailleurs, en 2015, la cellule interministérielle de crise a été activée durant 49 jours contre une demi-douzaine habituellement.
« Une crise sans précédent »
Le SGDSN et ses 900 agents, aux deux tiers ceux de l’Agence nationale de sécurité des systèmes d’information – la protection cyber des installations sensibles du pays – ont reçu 4 000 signalements d’attaques informatiques, en hausse de 50 % comparé à 2014. Trois « projets » ont été financés pour le plan de lutte antidrones. Le SGDSN, qui coordonne aussi la lutte contre la prolifération des armes de destruction massives, fait part de « 17 affaires d’interception de bien proliférants de mi-2014 à mi-2015, soit le double de l’année précédente ». Et comme parallèlement, dans cette période troublée, la France bat des records de ventes d’armes, le service a examiné 8 240 demandes d’exportation de matériels de guerre. Enfin, le secret défense progresse inexorablement : en 2015, pas moins de 413 000 personnes étaient habilitées, « soit une personne sur 160 habitants », rappelle l’administration qui avait publié en décembre un rapport séparé sur le sujet.
Entre ce qui fut appelé « l’affaire Merah », les tueries de 2012 à Toulouse et Montauban, encore traitées par le gouvernement comme une crise de sécurité intérieure sous la seule autorité du ministère de l’intérieur, et la vague d’attentats de 2015-2016 liés à des acteurs situés en Syrie ou en Irak, l’appréhension du phénomène terroriste djihadiste a changé, assure-t-on au SGDSN. « Il n’y a pas de loups solitaires qui se réveillent d’un côté, et des commandos préparant des attentats de longue main de l’autre. Même dans les dernières attaques les moins organisées il y a un mode de préparation minimale, une organisation de l’extérieur », explique un responsable, pour qui la France « a fait face en 2015 à une crise sans précédent depuis cinquante ans ».
L’Etat cherche à renforcer la coopération interministérielle pour répondre. Reste que depuis les attentats du 14 juillet à Nice, la « présidentialisation du traitement de la crise » est notable, convient ce même responsable. Préparés par le SGDSN, une dizaine de conseils de défense ont été réunis à l’Elysée par François Hollande en 2015, dont la moitié consacrés à l’armement nucléaire. Depuis la mi-juillet, les réunions sont hebdomadaires et font l’objet de communiqués systématiques. Deux sujets sont particulièrement prioritaires cette rentrée : les opérations militaires extérieures et la prochaine défaite de l’organisation Etat islamique au Moyen-Orient, qui entraîne des risques de « relocalisation » de ses combattants dans d’autres pays ; et « les revenants » selon le terme employé au SGDSN, ces Français partis rejoindre les rangs de l’EI en Syrie ou en Irak qui vont rentrer en France.