« Victoria » : grandeur et solitude de la femme moderne
« Victoria » : grandeur et solitude de la femme moderne
Par Jacques Mandelbaum
Pour son deuxième long-métrage, Justine Triet embarque Virginie Efira dans une comédie sentimentale maîtrisée.
Festival de Cannes 2013. Une nouvelle génération s’annonce. Grandie dans le marasme économique, dopée à la débrouille, fleur bleue gorgée de sève noire, elle a poussé telle une mauvaise herbe sur le champ d’honneur de l’industrie du cinéma français. En son sein, quelques noms prennent valeur d’étendard. Serge Bozon en modèle du bizarre, Emmanuel Chaumet en producteur corsaire, Vincent Macaigne en acteur frénétique. Enfin, Justine Triet en réalisatrice feu follet, auteure d’une Bataille de Solférino débraillée et croustillante (un couple séparé se dispute en « direct live » ses enfants sur fond de campagne socialiste à l’élection présidentielle).
Trois ans plus tard, alors que nombre de ces jeunes gens sont déjà revenus sur le devant de la scène sans nécessairement parvenir à transformer l’essai, Victoria, le deuxième long-métrage de Justine Triet, arrive à son tour sur les écrans. Et surprend pour le moins, eu égard à la rage burlesque du précédent. Comédie sentimentale précise et lustrée, le film épingle la spirale dépressive de Victoria Spik, interprétée par la délicieuse Virginie Efira. Avocate redoutée sur le versant social, Victoria ressemble sur son versant intime à un tas de cendres fumantes. L’action consiste ici à ensevelir la première sous la seconde, selon un faisceau de circonstances qui nous mènera – avec le sourire – du lamentable au tragique.
Soit la défense risquée d’un ami louche (Melvil Poupaud), accusé de tentative de meurtre par sa dulcinée visiblement perverse. Soit le déballage, non moins vicelard, d’un ex qui déballe leur vie intime sur le mode légitimé de l’autofiction. Soit enfin l’installation dans son appartement d’un petit dealer qu’elle a défendu par le passé (Vincent Lacoste), grand dadais au chômage qui s’improvise auprès d’elle assistant personnel. Tout va donc de mal en pis pour Victoria, la hauteur et la longueur de cette chute conditionnant, comme dans toute comédie dépressive qui se respecte, le plaisir trouble du spectateur à voir l’objet de son identification tomber.
Virginie Efira et Vincent Lacoste dans le film français de Justine Triet, « Victoria ». | ECCE FILMS/LE PACTE
Maîtrise et sophistication
Chute particulièrement ciselée, allant du degré zéro de la satisfaction sexuelle à la cinglante humiliation professionnelle, en passant par la malchance insigne d’être assise, lors d’une soirée, précisément à côté du type qui vous explique le Big Bang de long en large alors que vous rêvez de l’éprouver, point à la ligne. Tout cela progressera jusqu’à un terme d’agréable convenance dans une tonalité discrètement folâtre et délibérément sous-exposée. Au point qu’on se demande en se levant de son fauteuil si c’est la même cinéaste qui a réalisé La Bataille de Solferino et Victoria. Certes, les passerelles aménagées entre les deux films sont là pour le confirmer. Sur le plan du motif : grandeur et solitude de la femme moderne. Sur le plan du style : goût du saugrenu dont témoignent les scènes animalières – chimpanzé amateur de selfie, ou Dalmatien prénommé Jacques (merci pour eux !), promus témoins à charge et décharge dans un procès.
D’un autre côté, quelque chose a malgré tout muté, qui tient, peut-être, au confort dont a bénéficié la réalisatrice sur ce film après un premier tournage à l’arrache. Plus de financement (France 2, CNC, Canal+), plus de temps pour se préparer et pour tourner, plus d’acteurs repérables, plus d’attention portée à l’écriture. Autant d’atouts dont il faut se réjouir qu’ils soutiennent le talent, mais qui peuvent aussi bien insidieusement l’empâter. Le malaxage des références (d’Howard Hawks à Jacques Rozier, de Sacha Guitry à Woody Allen), la mise en coupe réglée de l’économie narrative, la manière de jouer constamment sur les signes de reconnaissance, finissent par donner au film un petit air de déjà-vu.
D’une facture brillante, mais moins éminemment personnelle que celle du précédent, Victoria laisse l’impression d’avoir intelligemment assuré le passage au deuxième long-métrage. Il a de fait gagné en maîtrise et en sophistication ce qu’il a perdu en incongruité et en intensité.
VICTORIA - Bande annonce
Durée : 01:57
Film français de Justine Triet avec Virginie Efira, Vincent Lacoste, Melvil Poupaud, Laurent Poitrenaux (1 h 37). Sur le Web : www.le-pacte.com/france/prochainement/detail/victoria