Accueil des réfugiés : Angela Merkel renonce à son fameux « Nous y arriverons »
Accueil des réfugiés : Angela Merkel renonce à son fameux « Nous y arriverons »
Par Thomas Wieder (Berlin, correspondant)
La formule (« Wir schaffen das »), que la chancelière allemande a employée à maintes reprises depuis le 31 août 2015, lui est aujourd’hui vivement reprochée.
Si ce n’est pas une reculade, cela en a tout l’air. Dans une interview à l’hebdomadaire économique Wirtschaftswoche, Angela Merkel fait comprendre qu’elle renonce à son fameux « Wir schaffen das » (« Nous y arriverons »), formule qu’elle a employée à maintes reprises depuis le 31 août 2015 et qui, étant devenue le symbole d’une politique d’ouverture à l’égard des réfugiés de plus en plus contestée, lui est aujourd’hui très vivement reprochée.
« Parfois, je pense que cette phrase a été un peu exagérée, qu’on a mis trop de choses dedans, à tel point que je préfère ne plus guère la répéter. C’est devenu un simple slogan, presque une formule vide de sens », affirme la chancelière allemande dans cette interview dont seuls des extraits ont été publiés, l’intégralité devant paraître le 26 septembre.
Ce n’est pas la première fois que Mme Merkel prend de la distance vis-à-vis de cette fameuse formule, qu’elle revendiquait encore avec aplomb dans sa dernière conférence de presse, tenue à Berlin le 28 juillet, au lendemain d’une série d’attentats qui avait relancé le débat sur sa politique à l’égard des réfugiés. Cette prise de distance a, en réalité, été engagée à la fin du mois d’août, mais par petits pas, par touches discrètes, qui sont plus de petites inflexions que de véritables tournants.
La première de ces inflexions remonte au dimanche 28 août. Ce soir-là, dans une interview télévisée à la chaîne ARD, la chancelière reprend la formule à son compte, mais celle-ci se retrouve un peu noyée dans un propos dont la tonalité générale en atténue la portée. Certes, elle le répète encore : « Nous allons y arriver. » Mais elle ajoute aussitôt que, si « beaucoup a déjà été fait en un an » pour les réfugiés, « beaucoup reste encore à faire ». De façon subliminale, elle semble ce jour-là admettre qu’il y avait peut-être un peu trop d’optimisme dans cette formule. C’est aussi pour elle une façon de répondre à son vice-chancelier et ministre de l’économie, Sigmar Gabriel, le patron du parti social démocrate (SPD), qui, la veille, sur la chaîne de télévision ZDF, avait déclaré ceci : « Il ne suffit pas de dire qu’on va y arriver, il faut se donner les moyens d’y parvenir, ce qu’ont toujours empêché la CDU et la CSU. »
« L’Allemagne restera l’Allemagne »
Trois jours plus tard, dans une interview à la Süddeutsche Zeitung, Mme Merkel revient à nouveau sur sa fameuse phrase pour expliquer, cette fois, qu’elle n’avait pas imaginé, sur le moment, à quel point elle serait commentée par la suite. Elle tente aussi de relativiser sa portée politique, en rappelant qu’il s’agit là d’une expression de tous les jours, que l’on emploie « dans son travail ou dans sa vie privée ». Elle dit aussi qu’elle continue à l’assumer, en expliquant qu’elle l’a utilisée, un an plus tôt, parce que telle était sa « conviction profonde ». Mais il apparaît clairement que la formule a fait son temps, que la chancelière entend passer à autre chose, et que son souci est désormais de rassurer les Allemands avant tout, ce que traduit une autre phrase confiée ce jour-là au quotidien munichois : « L’Allemagne restera l’Allemagne. »
Passée quasiment inaperçue sur le moment, cette dernière formule sera réutilisée par la chancelière, le 7 septembre, dans un discours au Bundestag, dans lequel ne figure pas le fameux « Wir schaffen das ». Cette absence est évidemment remarquée, d’autant plus que le discours est prononcé dans un contexte très délicat pour Mme Merkel. Trois jours après la déroute électorale de l’Union chrétienne-démocrate (CDU) face au parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD) dans le Land de Mecklembourg - Poméranie-Occidentale, déroute que l’aile droite de sa majorité attribue précisément à sa politique à l’égard des réfugiés, il est clair que Mme Merkel entend calmer le jeu. S’il n’est pas question pour elle de se dédire, elle semble alors avoir compris qu’il n’est pas non plus dans son intérêt de s’entêter. Mieux vaut, pour cela, ne pas répéter une formule qui, à chaque fois qu’elle est prononcée, déchaîne un torrent de critiques.
Plus qu’un véritable tournant sur le fond, l’interview accordée par Mme Merkel à l’hebdomadaire Wirtschaftswoche apparaît donc davantage comme une explicitation, par la chancelière, d’une mise à distance qui, dans la réalité, était perceptible depuis au moins une quinzaine de jours. L’explicitation, en somme, d’un renoncement en germe depuis déjà quelque temps.
Pourquoi décide-t-elle aujourd’hui d’opérer cette clarification ? Si la parution d’extraits de cette interview à la veille d’élections régionales à Berlin n’est sans doute pas un hasard, il s’agit plus fondamentalement d’un signal adressé à l’aile conservatrice de son parti et à l’Union chrétienne-démocrate (CSU), sa très critique alliée bavaroise avec laquelle Mme Merkel sait qu’elle n’a pas intérêt à rompre dans la perspective des élections législatives de septembre 2017.
Très clairement, la chancelière, qui n’a pas encore dit si elle briguerait ou non un quatrième mandat, entend désormais mettre toutes les conditions de son côté pour rendre une telle candidature possible. Et elle sait, pour cela, qu’elle ne peut continuer à creuser le fossé qui la sépare d’une partie de plus en plus importante de sa majorité.