Mercredi 21 septembre s’ouvre au tribunal fédéral d’Oakland (Californie) une audience un peu particulière. Sur le banc des accusés : Twitter, Facebook et YouTube. Face à eux, la famille d’une des victimes des attentats du 13 novembre à Paris, Nohemi Gonzalez, une étudiante américaine tuée alors qu’elle prenait une bière à la terrasse du Carillon. La famille de la victime accuse ces réseaux sociaux d’avoir fourni un « soutien matériel » à l’organisation Etat islamique en laissant proliférer des comptes djihadistes sur leurs services.

Que dit la plainte ?

La famille Gonzalez affirme que les trois entreprises ont apporté « en connaissance de cause » un « soutien matériel clé dans l’ascension de l’[organisation djihadiste] Etat Islamique (EI) et lui a permis de mener de nombreux attentats y compris celui du 13 novembre ». Elle considère donc que les sociétés sont en partie responsables de la mort de la jeune femme.

« La réalité est que si ces entreprises font des choses pour limiter la manière dont les terroristes utilisent leurs services, elles n’agissent pas assez », a déclaré Keith Altman, l’avocat de la famille, dans la presse américaine.

Qu’est-ce que le « soutien matériel » ?

Le « soutien matériel à une entreprise terroriste » est, en droit américain, un crime dont la définition a été élargie par le USA Patriot Act, qui comprenait un ensemble de mesures de lutte contre le terrorisme votées à la suite des attentats du 11 septembre 2001. Ce texte a été conçu pour sanctionner – pour des peines pouvant aller jusqu’à la réclusion criminelle à perpétuité – les complices d’actes terroristes, notamment la fourniture d’armes, d’argent, ou d’hébergement.

Pour que le crime soit constitué, il faut en revanche que la ou les personnes visées aient eu conscience que cette aide allait être utilisée pour commettre un attentat.

Cette mesure a fait l’objet de critiques aux Etats-Unis, les défenseurs des libertés individuelles arguant qu’il s’agit d’un raccourci rendant très simple la condamnation de personnes n’ayant qu’un lien très distant avec les véritables auteurs d’un attentat.

Depuis un an, plusieurs ONG ou proches de victimes ont utilisé cet article de la loi pour porter plainte contre des réseaux sociaux. En janvier, la femme d’un homme tué dans l’attentat d’Amman, en novembre 2015, a porté plainte contre Twitter. Et en janvier, une association a porté plainte à New York contre Facebook, l’accusant de complicité avec le Hamas – elle réclame un milliard de dollars de dommages et intérêts.

Que disent Twitter, YouTube et Facebook ?

Les trois entreprises ont la même ligne de défense : sur le fond, elles disent ne pas tolérer les comptes djihadistes sur leurs services, et avoir renforcé leurs systèmes de modération pour repérer et supprimer les appels à la violence ainsi que leurs collaborations avec les services de police.

En pratique, les réseaux sociaux sont cependant loin d’être infaillibles. Dans plusieurs cas, leurs systèmes de modération, qui mélangent en général des systèmes automatisés de détection, l’action de modérateurs humains et la prise en compte de signalements des utilisateurs, ont échoué à repérer des vidéos ou messages djihadistes restés en ligne pendant des semaines. En France, plusieurs associations de lutte contre les discriminations ont également assigné cette année ces réseaux sociaux pour des failles dans leurs politiques de modération.

Que dit la jurisprudence ?

Peu étoffée sur ce sujet, la jurisprudence américaine est pour l’instant plutôt favorable aux réseaux sociaux. La plainte déposée contre Twitter après l’attentat d’Amman a été classée sans suite par le tribunal. La cour a estimé que la loi américaine, qui prévoit comme en France que les hébergeurs de services de communication en ligne ne sont pas tenus de surveiller l’ensemble des contenus qui y sont publiés, rendait la condamnation de Twitter impossible.

Autre difficulté majeure : pour obtenir une condamnation, la famille de Nohemi Gonzalez devra apporter la preuve que les trois entreprises avaient conscience qu’elles participaient, même indirectement, à des opérations terroristes. Une accusation particulièrement difficile à prouver.