En Algérie, la mort d’Amira Merabet, brûlée vive, rouvre le débat sur les violences faites aux femmes
En Algérie, la mort d’Amira Merabet, brûlée vive, rouvre le débat sur les violences faites aux femmes
Par Zahra Chenaoui (contributrice Le Monde Afrique)
Moins d’un an après l’adoption d’une loi alourdissant le dispositif répressif, les associations dénoncent un manque d’application.
Face aux bâtiments de la wilaya de Béjaïa, à 200 km à l’est d’Alger, ils étaient plusieurs dizaines, ce samedi 17 septembre, à être venus rendre un nouvel hommage à Amira Merabet, une jeune Constantinoise de 34 ans violemment assassinée le 29 août. « Cette violence est insupportable. Nous voulions dire que ça n’est plus possible que les femmes algériennes vivent sous un tel système patriarcal », déclare Sadek, 25 ans, l’un des organisateurs.
Parmi les présents, des membres du parti politique Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), l’association du Café littéraire de la ville et, surtout, des anonymes. D’autres cérémonies de recueillement ont été organisées dans plusieurs villes du pays, à l’initiative de militants des droits de l’homme et d’association de défense des femmes. Une manière de répondre à l’acte, d’une extrême violence, dont a été victime la jeune Constantinoise.
Observatoire des violences
« Amira est sortie de chez elle, comme chaque matin, pour aller travailler à la mairie, raconte Amel, étudiante en médecine et militante de Constantine. Son agresseur l’attendait. Il a essayé de la faire monter de force dans sa camionnette. Elle a refusé. Il a versé un liquide inflammable sur elle, a jeté son briquet et a pris la fuite à pied. Il avait tout prémédité. » Amira Merabet a succombé à ses brûlures une semaine plus tard. Son agresseur est toujours en fuite. Plusieurs femmes du quartier s’étaient déjà plaintes d’avoir été harcelées par ce même homme.
Quelques jours avant le décès de la jeune Constantinoise, dans la ville pétrolière de Hassi Messaoud (sud-est), un groupe d’hommes a attaqué les femmes du quartier Al-Haïcha, en représailles après le meurtre de l’un d’entre eux par une femme de ce quartier. Les habitations ont été attaquées, pillées puis incendiées. Zone de logements précaires, Al-Haïcha est notamment habité par des femmes seules venues de différentes régions d’Algérie pour trouver un emploi dans la ville, en réalité de petits boulots précaires qui les obligent à habiter dans les baraques de fortune de ce quartier, souvent avec leurs enfants.
Le jour suivant les violences, les autorités locales ont décidé de détruire le quartier à coups de pelleteuse et le maire de la ville a demandé aux femmes de « rentrer chez elles ». Le Réseau Wassila, une association pour la protection des droits des femmes et des enfants, a dénoncé l’inaction de l’Etat face à ces attaques à répétition. En 2010, des violences similaires s’étaient déroulées dans la même partie de la ville et avaient conduit le Réseau à mettre en place un observatoire des violences faites aux femmes.
La loi promulguée mais difficilement appliquée
« Les femmes de ce quartier ont été la cible d’une expédition punitive pour plusieurs raisons : d’abord parce qu’elles sont femmes, ensuite parce qu’elles travaillent, enfin, parce qu’elles n’ont ni père, ni frère avec elles. Ce sont des personnes vulnérables dans une société très patriarcale comme la nôtre. Elles n’ont pas été protégées par les autorités locales ni par l’Etat », estime Louisa Ait Hamou, présidente de l’association.
La capacité d’action de l’Etat avait pourtant été renforcée : le 10 décembre 2015, le Parlement adoptait, après neuf mois de blocages, un amendement au Code pénal stipulant que désormais, les violences conjugales sont criminalisées, le harcèlement est passible de poursuites et l’ensemble des peines liées à de telles violences alourdies. Une avancée, pour le gouvernement, qui a comptabilisé 3 200 affaires de violences contre des femmes impliquant des proches, en 2014. Pour Wahiba, une autre militante du Réseau Wassila, cela reste insuffisant : « Nous nous battons aujourd’hui pour qu’il y ait des mesures d’application. Il faut qu’il y ait un vrai travail afin que tout le personnel juridique s’empare de cette loi et la fasse appliquer. Et puis, la clause du pardon incluse dans cette loi est très dangereuse. Si une femme subit des pressions familiales ou sociales pour qu’elle pardonne [officiellement] son agresseur, l’affaire s’arrête. »
Thinehinane Makaci, porte-parole de l’association Tharwa n’Fadhma n’Soumer, va plus loin : « Les prêches virulents et le discours conservateur sont soutenus par l’Etat, qui est l’employeur des imams. Cette misogynie sociale grandissante arrange l’Etat qui n’a pas, du coup, à rendre de comptes : les gens pensent que si un homme ne trouve pas d’emploi, c’est parce que les femmes travaillent. » Amel, la jeune étudiante en médecine de Constantine, s’inquiète, elle, de l’absence de réactions au sein de la société : « De nombreux voisins d’Amira Merabet ont trouvé des circonstances atténuantes à l’agresseur, en disant que, s’il l’avait attaqué, il devait bien y avoir une raison. » Dans la ville, le jour du rassemblement en mémoire de la jeune femme, certains passants n’ont pas caché leur hostilité, mais Amel affirme que ça ne l’arrêtera pas : « Si on ne réagit pas, c’est comme si on leur disait : faites de nous ce que vous voulez ! »