Partir étudier loin de chez soi : « liberté, stress et responsabilité »
Partir étudier loin de chez soi : « liberté, stress et responsabilité »
Par Eric Nunès
L’entrée dans l’enseignement supérieur est souvent l’occasion de quitter le giron familial. Quel les sont les effets de cette liberté nouvelle ? Comment gérer le stress qu’elle induit ? Des étudiants racontent leurs expériences.
Université Pierre-et-Marie-Curie. Jussieu. Le 6 septembre 2016. | Eric Nunès
Après dix-huit ans passés dans le nid familial, il est temps de le quitter. Un grand saut que des milliers de néobacheliers font chaque année, pour rejoindre écoles, classes prépas ou universités. L’expérience de l’indépendance se conjugue parfois avec la solitude, ou bien la griserie d’une liberté nouvelle et ses corollaires : responsabilités, contraintes, charges et obligations. Anciens et nouveaux étudiants ont livré leurs témoignages au Monde.fr : comment réussir à prendre son envol, au-delà d’une folle envie d’appeler maman…
« J’y suis ! » s’exclame Marjorie. Dans sa studette d’un campus lyonnais, la jeune femme vient de faire ses adieux à ses parents. Papa a porté les bagages, glissé quelques billets « au cas où », Maman a livré une ultime salve de conseils, la porte de la chambre s’est refermée, la voiture familiale a vrombi. « Le grand jour ! »
Des larmes du départ
« Au début, c’est effrayant, on se sent abandonné, livré à soi-même », témoigne Héloïse, étudiante en Suisse. Le grand bond hors du nid, « c’est panique et stress », poursuit Marjorie. Papa et maman, « mes piliers du quotidien », sont loin. Finie la routine bien réglée dans un univers maîtrisé, il faut partir à l’assaut « d’une école immense dans laquelle on ne croise aucun visage familier et où les professeurs listent les multiples objectifs à atteindre dans l’année si l’on tient à conserver sa place pour l’année suivante ». Gros coup de pression en guise d’accueil.
La « rupture » avec la vie d’avant est bien là. Cet appel d’air qui donne des ailes se métamorphose en peur du vide. « Le premier soir, j’ai pleuré toute la nuit, confie Morgane, étudiante à Orsay. Peur d’être loin de ma mère, peur de la rentrée, peur de me perdre… et en effet, je me suis perdue. » Lors de ces premiers pas vers la vie d’adulte, « tu te rends compte que tes parents, que tu étais heureux de quitter, te manquent. Rapidement tu dis au revoir à l’adolescent grincheux avide de liberté pour devenir responsable, libre et respectueux », concède Mégane.
Les parents à distance, l’étudiant découvre également le poids de la contribution des « darons » dans l’organisation de son quotidien. « Plus personne pour nous rappeler à quelle heure commencent les cours, ni pour faire les courses, ni même la lessive », regrette Jérémie, de Montpellier. La prise en charge de ses propres besoins est chronophage, il faut pourtant trouver le temps de s’en occuper, et le « concilier avec les heures de travail personnel, les heures de cours, les travaux sur table » rappelle Thibault, de Strasbourg, ancien élève de classe prépa.
Problèmes d’intendance
Blanchissage gratuit et petits plats font partie des regrets les plus partagés par les étudiants, si bien qu’ils sont plusieurs à reconnaître tenter d’obtenir une petite rallonge de ces services familiaux en se faisant confectionner des plats congelés et en rapportant des balluchons de linge sale lors des visites familiales.
« Je me suis rendu compte de la masse de boulot qu’il y avait à faire », reconnaît Mathilde, de Lausanne. « On réalise que la vie de nos parents, concernant les tâches et galères quotidiennes, n’est pas de tout repos. Et nous devons apprendre à nous débrouiller seuls et à moindre coût », se souvient David. Le coût. Autre immense problème des petits nouveaux dans le monde des adultes : liberté rime aussi avec budget serré.
La plus lourde charge des étudiants est le logement. Agathe, lyonnaise, l’a expérimenté : « Le rapport qualité-prix des logements étudiants est désastreux. Il faut payer des prix exorbitants pour habiter une cage à lapin en plastique. À cela s’ajoute la paperasse pour obtenir bourses et allocations, et puis les charges d’eau, d’électricité, de transport… »
Coût de la vie étudiante
Payer soi-même les produits de consommation courante fait partie de l’apprentissage. « Gérer son budget est la première chose à apprendre, confirme Mégane. Avec 70 euros par semaine, j’ai appris le prix des choses. » « Clairement, les bourses étudiantes sont insuffisantes », mesure Aurore, étudiante à Mulhouse. Pour beaucoup, quitter le foyer familial revient à faire l’expérience d’une forte paupérisation.
Chaque extra est compté : « j’ai créé un document Excel pour contrôler mes dépenses. J’ai cessé de manger de la viande, trop chère, témoigne Thibault. Au fur et à mesure de l’année, j’ai rempli un tableau pour comparer les prix de mes articles dans différents magasins afin de définir le moins cher. » La liberté c’est bon, mais sans le sou pour juste prendre un verre laisse un arrière-goût d’amertume.
Pour ne pas tomber dans le « seum » et réussir son envol, Etienne, étudiant à Pau, conseille de prendre la direction du bureau des étudiants et de se jeter dans la vie associative, culturelle ou sportive du campus. Mélanie, en LEA à Bordeaux, rappelle la possibilité de la colocation, une solution pour réduire le coût du logement et la garantie d’avoir quelqu’un à ses côtés.
« Quels que soient les difficultés et les obstacles que vous rencontrerez, ne baissez pas les bras ! conseille Gracia, étudiante en droit à Paris-1. Les années fac seront peut-être les meilleures de votre vie. Foncez ! »