Au Mali, qui veut vraiment la paix ?
Au Mali, qui veut vraiment la paix ?
Par Anthony Fouchard (Kidal, envoyé spécial)
L’accord de paix signé en juin 2015 entre Bamako et les groupes rebelles est au point mort. A l’été, les combats ont repris dans la région de Kidal.
Un soldat de la Minusma monte la garde près d’un véhicule de l’ONU ayant roulé sur un engin explosif près de Kidal, le 14 juillet 2016. | SOULEYMANE AG ANARA / AFP
L’hélicoptère MI-8 de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation du Mali (Minusma) se pose, le 13 septembre, dans un nuage de sable, sur une bâche en plastique tendue au milieu du désert. Plusieurs soldats des forces spéciales danoises s’extirpent de la carlingue, suivis du chef des casques bleus au Mali, le général Michael Lollesgaard. Les hommes du bataillon tchadien déployés à Aguelhoc depuis près d’un an sont au garde à vous.
« Ça va beaucoup mieux ici », affirme avec un optimisme tout relatif le commandant, Mahamat Ali Ibrahim. « Au début de notre mission, on prenait des roquettes sur la tête toutes les semaines. Maintenant, le danger a évolué. Les mines, les IEDS [engins explosifs improvisés]. C’est ça qui nous complique la tâche. » Sans compter que, depuis cet été, les combats ont repris entre la Plateforme (groupes armés pro-gouvernementaux) et les ex-rebelles de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA).
Ils se disputent la gestion sécuritaire de la ville de Kidal, où des autorités intérimaires sont censées être prochainement installées. Deux mois après le début des hostilités, aucun terrain d’entente n’a été trouvé. L’application concrète de l’accord de paix signé en 2015 à Bamako entre le gouvernement et les groupes rebelles, déjà mal engagée, est aujourd’hui au point mort. Si bien que la médiation internationale, dans un communiqué diffusé mercredi 21 septembre, « estime que cette situation ne saurait perdurer plus longuement, sans compromettre l’essence même de cet accord ».
A Kidal, la CMA se barricade
Une dizaine de soldats sont postés à l’extérieur du siège du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) à Kidal, capitale régionale mais petite ville perdue au milieu d’un désert de sable située à un carrefour stratégique vers l’Algérie, et de tous ses trafics. Dans les étroites ruelles à l’intérieur de la ville, on ne croise pas grand monde. Kidal n’a certes jamais été très peuplée. Mais, depuis que les combattants se sont affrontés à coups de tirs de mortier dans les rues, fin juillet, les villageois ont pris la route du désert. Le marché n’est qu’un vaste étalage de petits abris en tôle. Désertique. Dans une boulangerie, Haroun Goïta, un commerçant, confie son désarroi. « C’est la crise de la population. Il n’y a personne. Et ceux qui restent n’ont pas d’argent. Alors ici, on fabrique trois sacs de pain par jour. Alors qu’on pourrait en produire dix-huit. Mais à qui le vendre ? »
Bilal Ag-Cherif, secrétaire général du MNLA et président de la CMA, est l’un des acteurs centraux de cette crise. Ce jour-là, il est assis dans un grand canapé en cuir. Dans la cour du siège du MNLA, les munitions s’amoncellent à l’arrière des pick-up. Drapé dans un élégant boubou bleu clair, il pose ses multiples téléphones portables sur une petite table avant de prendre la parole : « Actuellement, le problème concerne tout l’Azawad [nom berbère donné par les populations locales à la partie septentrionale du Mali]. Si on ne trouve pas une solution, il va arriver un moment où nous n’aurons plus d’accord auquel nous référer. »
Initialement parties de Kidal, les dissensions entre les deux groupes se sont finalement propagées, sur fond de tensions entre Touareg ifoghas et imghads qui se font la guerre pour le pouvoir. Les combattants de la Plateforme – constituée en partie d’Ifoghas – sont bien décidés à reprendre Kidal et multiplient les escarmouches dans la région. Plusieurs villages sont déjà tombés entre leurs mains.
Au beau milieu de l’Adrar des Ifoghas, un des plus gros massifs montagneux du Sahara, les combattants ont une longueur d’avance sur les soldats de la paix de l’ONU. La Minusma – 13 000 hommes déployés à partir d’avril 2013 – essaie tant bien que mal de faire tampon, handicapée par un mandat pas assez offensif. « Notre rôle, c’est la protection des civils. Si les groupes armés se battent en dehors des zones urbaines, bien évidemment nous le déplorons. Mais nous sommes là avant tout pour éviter la propagation des affrontements dans les villes », explique Olivier Salgado, le porte-parole de la mission onusienne. Sur le terrain, les casques bleus se veulent proactifs. Des patrouilles militaires ont été envoyées à Aguelhoc et Tessalit pour dialoguer avec les combattants de la Plateforme. Sans être totalement efficace, le message est clair : « Ne vous approchez pas des villes. »
Drôle de guerre
Les combattants de la Plateforme accusent l’ONU et les Français de l’opération « Barkhane » – le dispositif de lutte contre le terrorisme dans le Sahel – de « protéger les rebelles ». Sur les réseaux sociaux, les velléités guerrières de ces groupes pro-gouvernementaux sont clairement affichées. « L’assaut final sur Kidal n’est plus qu’une question de jour », peut-on lire sur la page Facebook du Gatia, un des principaux groupes armés qui composent la Plateforme. Le leader du Gatia, le général Al-Hadj Gamou, fait toujours partie de l’armée régulière malienne.
De sources sécuritaires, on estime que la « stratégie du pourrissement » pourrait être une manière de légitimer une reprise de Kidal par la force et par l’entremise du Gatia. Le gouvernement a toujours nié une quelconque collusion avec les groupes armés signataires de l’accord. Mais ne s’est jamais résolu à s’en distancier officiellement. Du côté de « Barkhane » comme du côté de la Minusma, on affirme qu’un tel scénario est « inacceptable » et que, si les combats s’approchent de Kidal, « l’ONU s’interposera ».
Pour l’instant à Kidal, c’est la drôle de guerre. A l’intérieur de la ville, quelques rares personnes s’attroupent devant une épicerie. Les jeunes servent le thé. Non loin de là, plusieurs hommes en tenue de camouflage sont juchés sur un muret en pierre. Aucune arme n’est visible, « ils évitent de les sortir à l’intérieur de Kidal quand nous passons », explique un chauffeur de l’ONU. Des « guetteurs » comme ceux-là, il y en a partout dans la ville et en périphérie. Ils sont chargés de repérer d’éventuels ennemis. Même si le désert et la rocaille qui s’étendent à perte de vue annihilent tout effet de surprise.
La Plateforme a mis en place un blocus filtrant au nord de la ville et sur un large périmètre pour perturber les déplacements et les approvisionnements de la CMA. Dernièrement, c’est un convoi d’aide humanitaire qui en a fait les frais. Le Programme alimentaire mondial acheminait de la nourriture de Gao jusqu’à Kidal. Ils ont dû faire demi-tour, sur injonction des groupes armés. Mais, selon des sources proches de « Barkhane », aucune chance que ce blocus ne se « referme totalement, sinon, c’est AQMI [Al-Qaida au Maghreb islamique] qui va se réveiller pour récupérer les accès. Et là, le rapport de force sera clairement en défaveur de la Plateforme ». Le Haut conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA), un des composants de la CMA, est régulièrement accusé d’être la vitrine politique du groupe islamiste.
Le prix de la paix
Les applications concrètes de l’accord de paix sont rares. Les patrouilles mixtes n’ont pas encore vu le jour, le déploiement des autorités intérimaires non plus. Et pourtant, à Gao par exemple, plus au Sud, tout est prêt pour que les groupes armés patrouillent ensemble. Jean-Hervé Jézéquel, directeur adjoint du projet Afrique de l’Ouest pour le centre de réflexion International Crisis Group, estime que « l’accord de paix n’aborde pas les enjeux de partage du pouvoir au nord. C’est en partie pour ça que les groupes armés ne veulent pas avancer. Il faut mener de front des discussions à la fois dans un cadre local et à la fois dans le cadre de l’application de l’accord de paix ». Des sources sécuritaires évoquent également les demandes « culottées » des groupes armés, à savoir « des équipements et du matériel pour pouvoir faire les patrouilles ».
Pour trouver une solution aux problèmes de Kidal, les groupes armés ont passé deux semaines dans des hôtels de Bamako. Déplacements, hébergements, repas, tout est pris en charge par l’ONU. Quant aux membres du comité de suivi de l’accord de paix, qui se réunissent environ une fois tous les deux mois, leurs indemnités sont éloquentes. Au moins six membres de ce comité, composé entre autres d’un représentant du gouvernement, d’un représentant de la Plateforme et un de la CMA, perçoivent entre 1,4 et 2,2 millions de francs CFA par mois (soit entre 2 000 et 3 300 euros). « C’est le business de la paix », glisse-t-on poliment dans les couloirs de la Minusma.