Centre du Mali : « il faut enrayer très vite la spirale de la violence »
Centre du Mali : « il faut enrayer très vite la spirale de la violence »
Rinaldo Depagne et Jean-Hervé Jézéquel, de l’International Crisis Group, prônent un retour de l’Etat dans le centre du Mali pour éviter que la région devienne un foyer permanent d’instabilité.
Des enfants regardent passer un véhicule de la Minusma, la force internationale de mission de la paix au Mali, dans les rues de Kidal, au Mali, le 23 juillet 2015. | REUTERS
Après le nord, le centre du Mali est à son tour touché par la violence armée. Dans la nuit du 2 au 3 septembre, des éléments jihadistes ont pris momentanément le contrôle du bourg de Boni, non loin de Mopti, et kidnappé un élu municipal. Le 28 août, cinq personnes ont été tuées lors d‘affrontements entre éleveurs peul et agriculteurs bambara à Tekere Finadji.
Jusqu’à présent, les autorités maliennes se contentent d’une réponse militaire brutale et inadaptée. La résolution de la crise qui s’est installée dans la région de Mopti exige bien plus que l’élimination de quelques dizaines d’individus. Le gouvernement malien et ses partenaires doivent s’atteler au retour effectif de l’Etat. Sans un rétablissement rapide de la crédibilité des pouvoirs publics et d’une relation de confiance avec les administrés, le centre du Mali, une zone beaucoup plus peuplée que le nord et vitale pour l’économie, risque de devenir un foyer permanent d’instabilité.
La plupart des incidents armés se sont déroulés dans des zones rurales négligées par l’Etat, où la gestion des ressources naturelles suscite de fortes tensions, dont profitent désormais des organisations jihadistes pour s’implanter. La crise malienne de 2012 a révélé l’incapacité de l’Etat comme des élites traditionnelles à réguler de manière pacifique les conflits locaux, qui n’ont cessé de s’amplifier au cours des dernières années. Dans la continuité de cette crise, des groupes armés ont occupé une partie de la région, et les représentants de l’Etat ont fui, laissant de vastes territoires à l’abandon. En 2013, l’opération militaire française Serval a chassé les groupes armés de la région mais par la suite, le redéploiement de l’armée malienne s’est accompagné d’exactions, notamment à l’égard de populations peul suspectées de collaborer avec des groupes jihadistes. Ces abus ont renforcé le sentiment de défiance d’une partie des populations à l’égard d’autorités trop longtemps absentes et corrompues pour être perçues comme légitimes.
Conflits autour des ressources naturelles
Pour les populations du Centre déçues par l’Etat, en compétition les unes avec les autres pour la gestion des ressources naturelles, terres fertiles et pâturages, l’accès aux armes de guerre est devenu un moyen de se protéger et parfois de contester les hiérarchies en place. Sur ce terreau fertile, des groupes jihadistes se sont réimplantés. Comme à Boni le 3 septembre, ils mènent depuis janvier 2015 des attaques ciblées contre les agents de l’Etat et recrutent dans les villages au sein d’une jeunesse en mal d’intégration ou écœurée par l’action brutale des forces de sécurité. Dans ces espaces désertés par les pouvoirs publics, les groupes radicaux se rendent utiles en soutenant certaines communautés contre d’autres. Ils constituent une forme de réponse à une demande locale de justice, de sécurité et plus largement de moralisation du politique.
En juillet, le gouvernement a envoyé un bataillon supplémentaire afin de rétablir l’ordre. Mais, harcelés par les jihadistes, les militaires maliens restent retranchés dans les villes, loin des zones rurales où ont lieu la plupart des violences. Des casques bleus supplémentaires sont récemment venus renforcer la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) dans la région de Mopti. Mais rien n’indique que ce nouveau déploiement sera plus efficace qu’au nord, où les casques bleus vivent eux aussi retranchés, dans la crainte d’attaques asymétriques. Enfin, des élites locales et un segment radical du pouvoir à Bamako sont tentés de soutenir la création de groupes d’autodéfense à base communautaire pour répondre à l’insécurité, suscitée tant par des jihadistes que la montée du banditisme. Loin de régler les problèmes, ces milices favorisent au contraire des violences comme celles entre groupes armés bambara et peul, qui ont fait plus de 40 morts en mai 2016.
L’accord de paix signé à Bamako en juin 2015 a trop largement ignoré cette zone pour s’y appliquer. L’Etat et ses partenaires internationaux devraient donc préparer un plan spécial pour rétablir leur présence au Centre, en s’efforçant de garantir l’accès de la population aux services de base plutôt qu’en envoyant des contingents armés qui ne règlent rien ou presque, comme en témoigne l’augmentation récente des incidents armés.
La nomination d’un haut représentant pour les régions du Centre serait un signe fort de l’engagement de l’Etat et permettrait, en travaillant avec les populations, de mobiliser les efforts nationaux et internationaux afin d’identifier les actions prioritaires à mener dans les domaines de la justice, de l’éducation et de la gestion des ressources naturelles. De leur côté, les élites locales, notamment la nouvelle génération, doivent dépasser les clivages communautaires et les querelles de personnes pour jouer le rôle essentiel de relais entre les populations et l’Etat.
Soutenir les forces de police locales
La sécurisation de la zone, objectif important, passera par la refondation des forces de police locales plutôt que par l’envoi de militaires peu familiers de la région. Au lieu de miser sur le déploiement d’un contingent de casques bleus supplémentaire, la communauté internationale, en particulier la Minusma, devrait soutenir davantage les efforts visant à créer des forces de sécurité familières du contexte local et bénéficiant de la confiance des populations.
De même, face à l’extension des violences armées, les deux missions européennes de soutien aux forces de défense et de sécurité maliennes, EUTM Mali et EUCAP Sahel-Mali, devraient tirer les leçons de leurs premières années d’action. Elles restent trop repliées sur Bamako. Elles gagneraient à soutenir les forces maliennes déployées à l’intérieur du pays et dispenser des formations enfin adaptées aux réalités du terrain.
Pour l’Etat et ses partenaires, le Centre pourrait constituer un laboratoire pour une réforme concrète de la sécurité locale. Ces différentes initiatives, tant en matière de renforcement des capacités de l’Etat que de sécurité, doivent être entreprises rapidement, avant que le divorce entre les populations et les autorités ne soit consommé et que la région ne sombre dans une violence égale à celle qui déstabilise le nord.
Rinaldo Depagne et Jean-Hervé Jézéquel sont respectivement directeur du projet Afrique de l’Ouest et directeur adjoint du projet Afrique de l’Ouest pour International Crisis Group (ICG) et comptent parmi les auteurs du dernier rapport de ce think tank sur le Mali