Lors de la manifestation de soutien aux salariés d’Alstom, à Belfort, samedi 24 septembre. | SÉBASTIEN BOZON/AFP

C’est la dernière ligne droite. Le gouvernement et la direction d’Alstom devraient présenter, non pas vendredi 30 septembre comme évoqué par les organisations syndicales, mais plutôt lundi 3 ou mardi 4 octobre, leurs propositions pour maintenir l’activité sur le site de Belfort et plus largement pour renforcer les douze sites du constructeur ferroviaire en France.

Après une rencontre, vendredi 23 septembre au soir, entre Christophe Sirugue, le secrétaire d’Etat chargé de l’industrie, et Henri Poupart-Lafarge, le président-directeur général du groupe, les discussions ont continué tout le week-end. « Un plan alternatif au transfert de la production de locomotives et de motrices de Belfort à Reichshoffen [Bas-Rhin], annoncé le 7 septembre, est atteignable, mais il faut encore valider quelques étapes, et cela ne peut se faire en quelques jours, si l’on veut que cela fonctionne pour l’avenir », explique un proche du dossier.

A Belfort, l’attente est extrêmement forte. Samedi 24 septembre, de 3 500 à 5 000 personnes ont défilé lors d’une « journée morte ». C’est près de 10 % de la population de la cité du Lion. Les « Alsthommes », comme ils se sont renommés, ont manifesté pour obtenir au plus vite une solution pérenne pour le site historique où ont été créés, il y a quarante ans, les premiers TGV.

Dimanche 25 septembre, Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT, a estimé que l’Etat, qui détient 20 % des droits de vote au conseil d’administration du groupe ferroviaire, a « le devoir de sauver » le constructeur et son site historique de Belfort. Cependant, c’est lundi 26 septembre que des premiers éléments pourraient être distillés sur l’avenir du site belfortain.

« L’activité pourrait baisser de 30 % à l’avenir »

Henri Poupart-Lafarge doit présenter la stratégie d’Alstom pour ses sites de production en France et plus spécifiquement son site de l’est de la France, lundi, lors d’un comité central d’entreprise extraordinaire, avant de se rendre, mardi 27 septembre, à l’Assemblée nationale, pour répondre aux questions des députés.

Ce même jour, les organisations syndicales ont annoncé une journée de grève. « L’objectif est de mobiliser un maximum de personnes pour manifester devant le siège du groupe. Un TGV a été affrété pour permettre aux salariés de Belfort et d’Ornans [Doubs] de venir manifester. Le fait de venir en TGV est un symbole fort », insiste Philippe Pillot, de Force ouvrière.

Pendant la mobilisation, les négociations vont bon train et toutes les options sont explorées. L’objectif est, pour l’Etat, de trouver une solution pérenne non seulement pour le site belfortain, mais aussi pour l’ensemble des sites de fabrication ou d’assemblage du groupe hexagonal. « Belfort n’est qu’un élément du puzzle. L’avenir des sites de Petit-Croix [Territoire de Belfort], Reischoffen ou encore La Rochelle ou de tous les sites de composants sont également aujourd’hui en question avec la chute des commandes publiques en France », craint Patrick de Cara, de la CFDT.

Mardi 20 septembre, lors du Salon InnoTrans à Berlin, Henri Poupart-Lafarge expliquait que, sans nouvelles commandes en France, « l’activité pourrait baisser de 30 % à l’avenir » sur l’ensemble des sites hexagonaux. Cela pourrait entraîner un plan social important, sachant que les sites français dépendent à 60 % des commandes locales.

Des usines aussi tournées vers l’export. | Infographie « Le Monde »

« Risque de perdre tout le savoir-faire accumulé »

Afin de trouver une solution globale, le gouvernement va donc devoir avant tout relancer les commandes, sans s’appuyer seulement sur les appels d’offres en cours, comme celui des RER de nouvelle génération. Plusieurs commandes, comme six TGV pour la SNCF pour la ligne franco-italienne ou des locomotives de travaux pour la RATP, sont en cours de discussion. Alain Vidalies, le secrétaire d’Etat chargé des transports, n’a pas caché qu’il imposerait ces commandes aux deux entreprises publiques.

Le gouvernement va devoir également se reposer la question de la future commande de 1 milliard d’euros de trains d’équilibre du territoire (TET, ex-Intercités). Doit-il, comme Alain Vidalies l’a annoncé cet été, prévoir un nouvel appel d’offres pour acquérir ces trains ou doit-il finalement recourir aux contrats-cadres qui existent entre Alstom et la SNCF pour les trains régionaux ? « Des arbitrages interministériels sont nécessaires », répond une source.

Regarnir le carnet de commandes nationales d’Alstom ne suffira pas à sauver le site où travaillent 480 employés, dont 400 sont, pour l’instant, censés rejoindre Reichshoffen, de Belfort. « Entre 2018 et 2022, et la date prévue pour les premières commandes de la nouvelle génération de TGV, le site de Belfort connaîtra un creux d’activité de trois à quatre ans, selon les solutions trouvées. Il faudra tenir, au risque de perdre tout le savoir-faire accumulé », rappelle Philippe Pillot, de FO.

« Aujourd’hui, tous les sites sont vulnérables »

En l’absence de commandes supplémentaires de locomotives ou de TGV, il faudra diversifier le site. Bercy mène plusieurs réflexions en parallèle. Alstom pourrait tout d’abord relocaliser des activités à Belfort en provenance d’autres sites.

La direction du groupe est en train de passer toutes les fonctions au peigne fin : commerce, maintenance, ingénierie ou encore activité de signalisation, afin de diversifier à l’avenir le site de Belfort. Et pour marquer les esprits, le site devrait bénéficier à moyen terme d’un investissement important d’Alstom pour l’aider à négocier sa diversification.

« Pourquoi pas, mais il ne faudra pas déshabiller Paul pour habiller Jacques. Aujourd’hui, tous les sites sont vulnérables, et certains, comme à Valenciennes [Nord], connaissent déjà du chômage partiel. Alors, cela doit se faire de manière intelligente », rappelle Patrick de Cara, de la CFDT.

Bercy et Alstom réfléchissent également à d’autres solutions. Tous les regards se tournent donc vers General Electric (GE), qui dispose de son plus grand site industriel de France en face du site ferroviaire d’Alstom à Belfort. Cette usine construit des turbines géantes pour centrales.

Dans le cadre des engagements de GE auprès de l’Etat lors du rachat d’Alstom Power, en 2015, le géant américain a promis de créer quelque 1 000 emplois nets en France avant 2018. Sur ce total, « Belfort devrait en recruter au moins 200, pas particulièrement chez Alstom Transport », se borne-t-on à reconnaître chez GE. Cependant, l’Américain pourrait bel et bien reprendre, au moins temporairement, des ouvriers du constructeur ferroviaire pour une hausse de ses commandes à venir liées, notamment, au contrat remporté pour la centrale nucléaire d’Hinkley Point, au Royaume-Uni – une pratique déjà connue dans la cité du Lion.