Trafic de bois de rose : ultime avertissement pour Madagascar
Trafic de bois de rose : ultime avertissement pour Madagascar
Par Laurence Caramel
La Grande Ile a obtenu un sursis de trois mois auprès de la CITES qui envisage un embargo commercial sur toutes les espèces protégées du pays.
En mai 2014, sur une rive de la rivière Iagnobe, près du village d’Andanalavahil, des troncs coupés illégalement dans le parc national de Masoala, au nord de Madagascar. | Michael Zumstein/Agence Vu
Le couperet était prêt à tomber avant que les autorités malgaches ne parviennent à arracher un ultime répit de trois mois. Vendredi 23 septembre, le Comité permanent de la Convention sur le commerce international d’espèces de faune et de flore menacées d’extinction (CITES) réuni à Johannesburg, a accordé au gouvernement jusqu’à la fin de l’année pour qu’il apporte des gages tangibles de son action contre le trafic de bois de rose. Faute de quoi, il pourrait décider une suspension totale du commerce des espèces protégées de la Grande Ile. Concrètement, cela signifie que le pays aura interdiction d’exporter une centaine d’espèces parmi lesquelles figurent crocodiles, pythons, caméléons, orchidées et quelques lémuriens, autant d’icônes de ce hotspot de la biodiversité planétaire.
« Je suis soulagée. La bataille a été difficile mais nous avons pu dissuader la CITES de prendre cette sanction qui aurait été très dommageable pour l’économie de Madagascar et pour sa stabilité politique », a déclaré au Monde Afrique Johanita Ndahimanjara, la ministre de l’environnement présente à Johannesburg pour plaider la cause de son pays. L’Afrique du Sud, le Botswana et le Koweït, au nom de l’Asie, ont soutenu son appel à la clémence.
Meubles luxueux
« La suspension de commerce » : est l’arme ultime dont dispose l’organisation internationale pour condamner un pays qui, par son inaction ou sa complicité, participe à la destruction de la biodiversité. Et dans le cas présent à la disparition de plusieurs espèces de bois de rose et d’ébène pillées jusque dans les aires protégées pour alimenter un juteux trafic à destination de la Chine, où ces essences précieuses sont transformées en meubles luxueux pour élites enrichies. Sur les 183 pays membres de la CITES, une dizaine de pays figure actuellement sur cette liste noire parmi lesquels l’Afghanistan, la Mauritanie, la Guinée, le Lesotho…
Avant d’envisager cette sanction extrême contre Madagascar, la CITES a déployé pendant trois ans tout l’arsenal à sa disposition. Du « simple » embargo sur les exportations de bois de rose imposé au gouvernement malgache à l’obligation pour les autres Etats de faire barrage à ce bois illégal. Sous peine d’être à leur tour jugés complices. Rien n’y a fait. Le bâton pas davantage que la carotte – Madagascar a reçu des millions de dollars pour lutter contre la contrebande – ne sont parvenus à faire poindre la moindre lueur d’espoir. Les rondins continuent de prendre la mer à la vue et au su d’un Etat déliquescent qui s’est pourtant engagé avec le soutien de plusieurs bailleurs à mettre en œuvre un « plan d’action » pour stopper le trafic.
Depuis 2010, année de la première loi nationale interdisant le commerce de bois de rose après la grande saignée observée sous le gouvernement de transition d’Andry Rajoelina, Madagascar a accumulé les textes législatifs censés donner des gages de sa bonne volonté. En décembre 2015, la création d’un tribunal spécial a été votée par l’Assemblée nationale avec le pouvoir de condamner les coupeurs de bois à une peine de dix ans de prison et les commanditaires et les exportateurs à une peine de vingt ans.
Face à cet échafaudage législatif, le bilan judiciaire traduit la réalité sans fard : au cours des dix dernières années, seules quarante infractions sur le commerce de bois de rose ont été constatées. Six condamnations ont été prononcées assorties de peines d’au maximum deux ans de prison et d’amendes qui, au total, ont atteint 440 280 millions de dollars sur un trafic qui en a rapporté des milliards. « L’absence de poursuites et de condamnations a de quoi inquiéter lorsque l’on connaît l’ampleur du trafic, écrit le secrétariat de la CITES dans la note de six pages présentée à Johannesburg pour justifier sa demande de nouvelles sanctions. Aucune enquête ni procédure judiciaire ne sont en cours qui pourraient déboucher sur des sanctions contre les suspects impliqués dans le trafic ».
« Aucun baron n’a jamais été poursuivi », renchérit Environmental Investigation Agency (EIA) qui a été l’une des premières ONG internationales à dénoncer cette criminalité environnementale à grande échelle.
Mercredi, soit deux jours avant la réunion de la CITES à Johannesburg, un coup de filet du Bureau indépendant anti-corruption (Bianco) a permis l’inculpation de vingt-quatre personnes, dont un ancien chef de région, un inspecteur des douanes et des fonctionnaires du ministère de l’environnement pour tentative d’exportation de douze containers de bois de rose dans la région de Toliara, fin 2015. La presse locale s’en est fait un large écho, mais l’opération n’a pas impressionné les experts de la CITES. « Ils imaginent peut-être qu’il suffit d’une opération de dernière minute pour nous convaincre qu’ils agissent », tranche l’un deux.
Plus de 3 300 tonnes de bois saisis à Singapour
L’organisation, dont le siège est basé à Genève, s’intéresse en revanche de près à une opération d’une tout autre envergure. « Le secrétariat a eu connaissance que le gouvernement de Madagascar a refusé début 2016 de témoigner devant la justice pour clarifier le statut de 3 372 tonnes de bois de rose saisis par Singapour en mars 2014 », peut-on lire parmi la longue liste de critiques formulées contre les autorités malgaches.
Il s’agit de la plus grosse saisie jamais réalisée à l’étranger, d’une valeur de 50 millions de dollars (44,5 millions d’euros). Singapour, qui est membre de la CITES, avait intercepté la cargaison en transit et inculpé l’acquéreur chinois, Kong Hoo. L’affaire devient ensuite assez rocambolesque et en dit long sur l’implication des plus hautes personnalités de l’Etat malgache. En janvier 2015, le ministre de l’environnement, Antelme Ramparany avait envoyé à Singapour un courriel assurant de « l’authenticité des documents » présentés pour justifier l’exportation de ce bois. Avant que, en février 2016, le nouveau premier ministre, Jean Ravelonarivo ne désavoue M. Ramparany en assurant que la transaction violait les règles de la CITES et les lois nationales et en invitant le tribunal « à utiliser sa lettre (…) pour défendre les intérêts de Madagascar », selon les termes du courrier dont Le Monde a pris connaissance. Malheureusement, cette lettre est arrivée trop tard pour être prise en compte par la justice qui a dû acquitter l’entreprise chinoise.
Mafia qui gangrène le pays
M. Ravelonarivo a, dans la foulée, perdu son poste et, depuis, Madagascar fait la sourde oreille aux demandes de Singapour, où le procès se poursuit en appel. Vendredi, la ministre de l’environnement, Johanita Ndahimanjara assurait au Monde Afrique que « cette cargaison était bien illégale » et que « Madagascar répondra aux demandes de la justice ».
Si, à Johannesburg, la ministre a sauvé son pays d’un nouvel opprobre, elle n’a en revanche pas obtenu l’autorisation de vendre les stocks de bois de rose saisis sur le sol malgache au cours des dernières années : 28 582 grumes entreposées sur 80 sites à travers l’île d’une valeur estimée à 11 millions de dollars. Ils ne sont que la toute petite partie émergée du butin accumulé par la mafia qui gangrène ce pays parmi les plus pauvres du monde. De l’aveu même du gouvernement, 2 millions de troncs seraient dissimulés dans les forêts et le long des plages.