Les violences sexistes et sexuelles en ligne, une fatalité pour les adolescents
Les violences sexistes et sexuelles en ligne, une fatalité pour les adolescents
Par Morgane Tual
Insultes sexistes, rumeurs, diffusion de photos intimes sans consentement… Une étude décrit les réalités du « cybersexisme » chez les adolescents.
Une adolescente sur cinq a déjà été insultée en ligne sur son apparence physique. C’est l’un des multiples constats d’une étude publiée mardi 27 septembre sur le « cybersexisme » chez les 12-15 ans. Coordonnée par le Centre francilien pour l’égalité hommes-femmes Hubertine Auclert, réalisée par l’Observatoire universitaire international éducation et prévention, cette étude se concentre sur « les violences déployées via Internet et les réseaux sociaux sous forme d’insultes, de harcèlement, d’humiliation, de rumeurs… Qui ont la particularité de réduire les filles à leur apparence physique. Elles visent à contrôler leur sexualité et survaloriser la virilité et la sexualité des garçons. »
Menée auprès de 1 500 adolescents d’Île-de-France, elle dresse un état des lieux parfois édifiant des pratiques des collégiens et lycéens, dont les filles sont les principales victimes. Elles sont ainsi deux fois plus nombreuses que les garçons à faire l’objet de rumeurs (13,3 % contre 6,3 %). Même constat concernant les selfies : deux fois plus de filles en ont réalisé sous la contrainte, généralement issue de leur petit ami (4 % des filles, 1,4 % des garçons). Plus globalement, 17 % des filles et 11 % des garçons « déclarent avoir été confrontés à des cyberviolences à caractère sexuel par le biais de photos, vidéos ou textos envoyés sous la contrainte et/ou diffusées sans l’accord et/ou reçues sans en avoir envie ».
Règles implicites
Mais au-delà des chiffres, c’est surtout la façon dont se pratique ce sexisme, et dont il est perçu, qui intéresse les chercheurs, qui tiennent à souligner que les violences sexistes et sexuelles ne sont pas propres aux nouveaux outils. Préexistantes dans l’environnement des adolescents, elles « se poursuivent et s’amplifient » en ligne, un espace « à considérer comme appartenant à l’espace social réel ».
Et qui dit espace social dit aussi règles implicites. « Les filles sont incitées à exposer leur corps, notamment à travers le partage de photos : ne pas le faire, c’est se couper de cette sociabilité attendue », indique l’étude. Mais il ne faut pas le faire n’importe comment. « Les filles doivent se présenter sous leur meilleur jour, sans avoir l’air de chercher le regard des garçons. » Une bretelle trop inclinée peut être perçue comme un geste aguicheur, et « le moindre faux pas peut entraîner de sévères conséquences sociales ». Les chercheurs précisent que ces règles implicites sont moins strictes pour les garçons, qui devront aller plus loin que les filles pour être sanctionnés par leurs camarades, comme montrer leur sexe.
Mais ce qui revient systématiquement est le jugement permanent dont les filles font l’objet. Si une personne diffuse une photo sexualisée d’une jeune fille sans son consentement, c’est cette dernière qui sera critiquée, et non la personne ayant fait circuler l’image. Mais les filles ne sont pas seulement victimes : elles peuvent aussi se montrer bourreaux. « Les filles sont très impliquées dans le cybersexisme », affirment les chercheurs. « Elles subissent le rappel à l’ordre à la fois de la part des garçons et de la part des filles dans des proportions similaires. »
Les adultes aussi culpabilisent les filles
Et les conséquences n’ont rien d’éphémère. Certains épisodes restent ancrés dans la « mémoire collective » d’un établissement pendant plusieurs mois ou années, peut-on lire dans l’étude. Certaines photos sont aussi stockées comme bombes à retardement :
« Les photos peuvent aussi être accumulées par ses “ami-e-s” pour constituer des “dossiers” dont la divulgation (aux ami-e-s, mais aussi et surtout à la famille) peut devenir un moyen de chantage ou de pression, c’est un puissant outil de contrôle social entre pairs, et notamment au sein des couples. »
Des phénomènes que les adolescents ont tendance à considérer comme normaux : « Ces expériences négatives ne sont pas toujours perçues comme des violences, mais envisagées avec un certain fatalisme. » Au point qu’un élève sur quatre victime de ce type de violences, en ligne ou hors ligne, n’en parle à personne. Les adultes sont peu sollicités dans ce genre de cas, car les adolescents ne les jugent pas compétents dans ce domaine et craignent que la réaction des adultes consiste à interdire ou limiter les usages numériques, ou sanctionner le comportement sexuel ou amoureux.
Image extraite du film diffusé dans le cadre de la campagne « stop cybersexisme ». | CENTRE AUBERTINE AUCLERT
Et ils n’ont pas tout à fait tort… Dans le cas de la diffusion de photos sexualisées sans le consentement, « les professionnel-le-s ont tendance à pointer le fait que les jeunes filles ont été “naïves”, qu’elles n’ont pas bien mesuré les risques en s’exposant ainsi sur les réseaux sociaux. » En culpabilisant les filles, ils « contribuent à renforcer le contrôle social exercé sur le corps et la sexualité », estiment les chercheurs. Ils regrettent également que les interventions de prévention dans les établissements soient principalement axées sur « le lien entre un individu et ses outils numériques », évacuant ainsi toute « considération du contexte sexiste ». Qui plus est, « lorsque que la prévention met l’accent exclusivement sur les moyens technologiques, cela peut donner le sentiment à certaines filles qu’elles sont responsables du cybersexisme qui les atteint ».
Simultanément à la publication de cette étude, une campagne de prévention doit être menée dans les collèges et les lycées, mais aussi sur Internet, à la télévision et à la radio.