Bardet « stupéfait » par la prise de corticoïdes de Bradley Wiggins
Bardet « stupéfait » par la prise de corticoïdes de Bradley Wiggins
Par Clément Guillou (Barzano, Italie)
Le coureur français dit au « Monde » son ras-le-bol de l’abus de corticoïdes dans le peloton, et estime que l’ancien vainqueur britannique a exploité les failles du système des AUT.
« Ah, j’étais sûr que vous alliez y venir… » Installé dans le jardin baigné de soleil de son hôtel de Lombardie, où il prépare la course du même nom ce samedi, Romain Bardet avait donc préparé sa réflexion sur la délicate question des autorisations thérapeutiques (AUT), qui secoue le monde du sport depuis la publication de centaines d’AUT confidentielles par le groupe de pirates informatiques Fancy Bears.
Et, s’il n’est pas sûr de détenir la solution au problème, il semble convaincu qu’il y en a un. Notamment à la lumière du cas de Bradley Wiggins, un personnage qu’il admire mais dont la prise de corticoïdes avant ses principaux objectifs lui semble relever d’un détournement du système, comme il l’a confié au Monde.
Comme Thibaut Pinot, vous avez relayé le message de Martin Fourcade sur Twitter, appelant à un arrêt de travail plutôt qu’une AUT pour les sportifs malades. En un peu plus de 140 caractères, quel est votre avis sur la question ?
Si un sportif a besoin d'une AUT c'est qu'il est malade, et si il est malade il faut qu'il soit en arrêt de travail @lequipe #mpcc @wada_ama
— martinfkde (@Martin Fourcade)
Martin a des positions très fortes sur l’antidopage et je le suis là-dessus. Il a beaucoup de courage et dit tout haut ce que beaucoup pensent tout bas. On pense qu’il y a une réglementation beaucoup trop permissive et qu’il y a des abus. Il y a trop de laxisme, donc il y a une faille du système. Quand il y a une faille, certains esprits y voient un blanc-seing, une autorisation de contourner les règles.
Evidemment, il y a des exceptions pour certains profils bien particuliers, puisqu’il n’y a pas de règle sans exception. Les solutions, je ne les ai pas. Clairement, je préférerais que l’on connaisse toutes les AUT que chacun a. Mais je ne pense pas que ce soit la bonne solution. La bonne solution, quand tu es malade, est de ne pas participer aux compétitions.
Scientifiquement, on doit être capable de savoir les effets d’un traitement et à partir de quel moment il n’est plus déterminant dans la performance de l’athlète. Mettons les règles au clair et prononçons des interdictions strictes.
Dans votre système, un athlète souffrant d’asthme d’effort, sans même parler de ceux souffrant de maladies plus handicapantes, ne peut plus pratiquer leur métier…
Dans de nombreux cas, n’y a-t-il pas d’autres traitements qui permettent d’avoir moins d’effets sur la performance ? Je ne suis pas expert mais il faut arriver à un traçage plus fin pour déceler le vrai du faux, la personne qui en a vraiment besoin et celle qui va artificiellement exagérer son asthme.
Pourquoi ne pas imaginer un cabinet médical de l’UCI ou mieux, de l’Agence mondiale antidopage ? Où tout serait centralisé avec un protocole bien précis et un examen avec trois médecins indépendants. [Actuellement, les prescriptions de traitements et le diagnostic de la pathologie sont faits par un médecin du choix de l’athlète et dans un deuxième temps, depuis 2015 à l’UCI, trois experts vérifient le bien fondé de l’AUT.]
Tout mettre sur la place publique n’est pas forcément la meilleure des solutions, d’autant plus dans le vélo où les gens parlent beaucoup. Le secret médical est important et, quoi qu’il en soit, j’imagine mal qu’il soit finalement bafoué. Mais si l’on peut contrôler avec des médecins scrupuleux, indépendants, nous ne devrions pas en avoir besoin.
Est-ce que, à l’instar du Néerlandais Tom Dumoulin, vous trouvez que le cas de Bradley Wiggins « sent mauvais » ?
Comment ne pas se montrer stupéfait ? Je n’ai pas tous les éléments du dossier et j’ai assez peu d’expérience là-dedans, mais on voit des choses qui montrent que le système a des failles. Ces injections avant les grands tours, c’est très étonnant.
J’ai lu ce que disait Jörg Jaksche [qui disait se doper exactement de la même façon il y a dix ans]. Bien que je me méfie des anciens dopés, qui ont toujours une volonté de vouloir justifier leur propre déroute, il n’a pas tort. Le timing des injections prête à réflexion.
J’apprécie vraiment Bradley Wiggins, l’athlète et la personne, sa manière de vivre et son franc-parler. Ce qui m’a fait mal, ce qui est gênant, ce sont les contradictions entre la réalité et ce qu’il a écrit dans son autobiographie.
Pour autant, la manière dont ces informations ont été trouvées me dérange aussi.
Vous-même, avez-vous déjà bénéficié d’une AUT ?
Non. Je ne dis pas que je n’en aurais jamais demandé si j’en avais eu besoin, mais ça n’a jamais été le cas. La question s’est posée une fois, durant ma première année professionnelle, quand j’ai eu une inflammation au pied après le Tour de Californie. J’ai bénéficié d’une injection localisée et je n’ai pas couru pendant un mois. Parce qu’on a estimé que le repos faisait partie intégrante de la solution pour guérir.
Si l’on parle des corticoïdes, le problème ne va-t-il pas au-delà des AUT ? Puisque ces substances sont autorisées hors compétition.
Là est vraiment le problème : que les corticoïdes soient permis. Il faut une interdiction totale, en compétition et hors compétition. On fait la chasse à tout un tas de substances et les corticoïdes, dont il est prouvé qu’elles ont un effet anti-inflammatoire et améliorent les performances, il y a un permis pour ça. Le coup de la pommade (aux corticoïdes) qui masque, on est tous lassés de ces histoires-là.
On voit trop de mecs, c’est un secret de Polichinelle dans le peloton, qui font des trucs avant leurs objectifs et maquillent ça avec un mal au genou. On voit les trucs pas naturels, les mecs joufflus, leurs « pattes » sèches, personne n’est dupe.
C’est peut-être moins anarchique avec les AUT, mais qui peut contrôler le bien-fondé des AUT ? C’est sur la bonne foi. Et la bonne foi, dans un monde aussi concurrentiel, elle ne suit pas.
Dans votre sport, l’Union cycliste internationale est censée contrôler rigoureusement la délivrance de ces AUT. Lui faites-vous confiance pour cela ?
(Sourire.) L’UCI a beaucoup de choses a prouver. La gouvernance a changé depuis l’époque de Lance Armstrong, mais on attend de voir. J’attends des choses de l’UCI et on est assez exigeant. Avec une réglementation trop permissive, on va s’enliser dans les problèmes pendant des décennies.
Ça peut fausser les résultats, certes dans une moindre mesure par rapport aux pandémies de dopage des dernières décennies, mais ça fausse une partie des choses. L’UCI a le destin du vélo entre les mains, y compris sur l’autorisation des AUT.
La démarche du Mouvement pour un cyclisme crédible [association qui a pour but de défendre l’idée d’un cyclisme propre, et qui impose huit jours d’arrêt après un traitement aux corticoïdes et pratique de temps à autre des contrôles de cortisolémie] est bonne et saine. Elle est éducative mais sanctionne également. Même si je serais encore plus strict sur les taux. Parce que le MPCC dédramatise en disant que c’est une question de santé, mais, pour être interdit de départ par le MPCC, il faut y aller sur les corticoïdes !