Migrants, terrorisme : Nicolas Dupont-Aignan se noie dans les approximations
Migrants, terrorisme : Nicolas Dupont-Aignan se noie dans les approximations
A l’antenne Sud Radio, dimanche, le candidat souverainiste n’a pas hésité à jouer avec les chiffres pour appuyer son propos.
Nicolas Dupont-Aignan, député de l’Essonne et candidat à la présidentielle de 2017, a déclaré qu’il « sent que ça démarre » pour lui et qu’il « sera » au second tour de l’élection de 2017, dans le Journal du dimanche du 2 octobre. Il ose même une comparaison avec Donald Trump : quand il « a dit qu’il gagnerait la primaire républicaine, personne ne l’a cru ». Le même jour, invité de Sud Radio, le président du mouvement Debout la France a effectivement semblé se placer sur la même ligne que le candidat républicain américain. Au moins du point de vue des approximations.
- Erreur de chiffres sur le terrorisme
Sur le terrorisme, d’abord, le candidat estime que les djihadistes de retour de Syrie ne sont pas suffisamment incarcérés. Et s’en indigne :
« Le procureur de la République dans un article du “Monde” d’il y a quinze jours, a été très clair, il a dit il y a 900 personnes qui sont mises en examen pour des affaires de terrorisme et il y en a que 300 qui sont incarcérées. Le procureur reconnaît lui-même qu’il y en a 600 en liberté, je trouve ça gravissime. »
POURQUOI C’EST FAUX
Effectivement, le procureur de la République de Paris « a été très clair », dans l’entretien publié le 2 septembre dans Le Monde. François Molins évoque « 280 [individus qui] sont aujourd’hui mis en examen, dont 167 sont en détention ». Le chiffre le plus proche de celui de M. Dupont-Aignan cité par le magistrat est celui des 577 personnes faisant l’objet d’un mandat d’arrêt ou de recherche. Mais il s’agit précisément là de suspects qui ne sont pas encore revenus en France.
- Sous-estimation du nombre de passeurs
Le candidat souverainiste s’indigne, encore, que l’Europe ne parvienne pas à arrêter la « centaine de barques [de passeurs] sur les rivages de Libye », et, devant l’étonnement du journaliste de Sud Radio, Louis Morin, il insiste sur ce chiffre.
POURQUOI C’EST FAUX
Début septembre, l’opération navale contre les passeurs baptisée « Sophia », dirigée par l’Union européenne au large de la Libye, avait conduit à la « neutralisation » de près de 300 bateaux transportant des migrants vers l’Europe depuis octobre 2015. Et l’on peut imaginer aisément qu’il ne s’agit que d’une petite portion de la flotte des passeurs.
- L’Allemagne, bouc émissaire facile
M. Dupont-Aignan s’indigne, ensuite, contre l’Allemagne :
« L’Allemagne exploite d’ailleurs ces migrants avec des contrats à 1 euro l’heure et renvoie sur les autres pays d’Europe [sic] ceux qui ne veulent pas travailler et qui vont venir chez nous prendre les prestations sociales. Je trouve que c’est gonflé, pardonnez-moi l’expression. »
POURQUOI C’EST IMPRÉCIS
Oui, certains migrants peuvent travailler pour 1,05 euro de l’heure en Allemagne. Mais il ne s’agit pas d’un dispositif national. La formule est testée dans certaines villes, à commencer par Berlin et uniquement pour des tâches effectuées dans leurs propres centres d’accueil. Selon les promoteurs de l’idée – qui a créé la polémique – il s’agit de leur fournir un revenu d’appoint et de leur permettre de « combattre l’ennui ». Surtout, ce type de contrat n’est pas réservé aux migrants puisqu’il correspond à un dispositif existant déjà pour les chômeurs de longue durée en Allemagne.
Enfin, l’Allemagne ne « renvoie » pas de migrants en France. Au contraire, elle a même décidé, unilatéralement, en 2015, de ne plus renvoyer les migrants vers leur pays d’entrée dans l’Union européenne comme les accords dits « de Dublin » le permettent. Avant de renoncer quelques mois plus tard face à l’afflux. Mais les pays concernés par d’éventuels renvois sont les pays d’arrivée des migrants en Europe, donc les pays périphériques, et pas la France.
- Des pays voisins de la Syrie pas très « accueillants » ?
Le maire de Yerres (Essonne) s’est indigné, toujours, du manque d’hospitalité des pays arabes envers les réfugiés syriens : « Pourquoi le Qatar et l’Arabie saoudite n’en veulent aucun ? Je voudrais qu’on m’explique pourquoi… » Interrompu par son intervieweur, il a donc développé la totalité de sa pensée sur Twitter :
« Je voudrais qu’on m’explique pourquoi les pays voisins de la Syrie n’accueillent aucun migrant. »
"Je voudrais qu'on m'explique pourquoi les pays voisins de la Syrie n'accueillent aucun migrant" @sudradio
— dupontaignan (@N. Dupont-Aignan)
POURQUOI C’EST FAUX
Comme l’ont déjà montré nos confrères de Libération, l’affirmation est bien sûr totalement fausse, la Turquie, la Jordanie ou le Liban accueillant des millions de réfugiés.
Ce qui a obligé l’élu de l’Essonne à rétropédaler, plus tard dans la journée :
Je précise à ceux qui l'auraient mal compris @sudradio 1/2
— dupontaignan (@N. Dupont-Aignan)
Ni le Qatar, ni l'Arabie Saoudite, ni le Koweït n'accueillent de migrants. C'est ce que j'ai critiqué sur @sudradio ce midi ! 2/2
— dupontaignan (@N. Dupont-Aignan)
- Un centre pour migrants pas si « luxueux »
Dernière indignation : la relocalisation de migrants de Calais dans toute la France décidée par le gouvernement. Et M. Dupont-Aignan de citer un exemple :
« J’étais dans les Alpes-de-Haute-Provence, un centre de vacances luxueux va accueillir, nourris logés, pour un village qui avait 182 habitants, une centaine de migrants. »
POURQUOI C’EST EXAGÉRÉ
Oui, le candidat à la présidentielle est bien allé soutenir les opposants à la mise en place d’un centre d’accueil et d’orientation pour une centaine de migrants dans les Alpes-de-Haute-Provence, à Champtercier, le 23 septembre. Il a même publié une vidéo sur Facebook. Mais il exagère plusieurs détails. Le village ne comprend pas 182 habitants – soulignons la précision dans l’erreur – mais 755, en 2013, selon l’Insee. Ensuite, le « centre de vacances luxueux » est en fait un centre fermé depuis six ans. Il appartient à Renouveau vacances, une association de « tourisme social et solidaire » dont l’objectif est de fournir des vacances abordables aux familles… bien loin du « luxe », donc. L’association a abandonné le centre à la suite de graves difficultés financières et elle a fusionné avec un autre organisme, qui a prévu de le rouvrir en 2018.