Le « 1er musée du street art » a ouvert à l’école 42
Le « 1er musée du street art » a ouvert à l’école 42
Par Emmanuelle Jardonnet
Un collectionneur français a installé 150 œuvres d’artistes issus du graffiti dans l’école d’informatique parisienne.
Le hall d’entrée de l’école 42 sert également d’espace d’exposition à la collection d’arts urbains Art 42. | PHILIPPE LOPEZ / AFP
Avec ses « 50 artistes, 150 œuvres, 4 000 m2 », le « premier musée gratuit et permanent de street art en France » a ouvert ses portes, samedi 1er octobre, au sein de l’école 42, l’école informatique située dans le XVIIe arrondissement de Paris. Grâce à ces formules quelque peu tapageuses, le succès fut au rendez-vous en cette longue soirée de Nuit Blanche, événement auquel le nouveau lieu d’exposition s’est greffé pour son lancement.
A l’extérieur, la queue était impressionnante à la porte de Clichy, mais l’avancée assez fluide pour entrer dans un bâtiment où les vastes espaces n’ont pas désempli, la masse de visiteurs, plutôt jeunes, se mêlant à des étudiants concentrés sur leurs écrans, ou ravis de présenter les lieux et leur fonctionnement. Car l’aura de l’établissement créé par Xavier Niel (fondateur de Free et actionnaire du groupe Le Monde) participait largement à la curiosité générale.
« Un aboutissement »
Souriant et un brin exalté, le collectionneur Nicolas Laugero-Lasserre, 41 ans, l’instigateur du projet « Art 42 », discutait avec chacun et enchaînait les interviews entre une toile de Jonone et une de Futura. Deux stars du graffiti new-yorkais qui furent parmi les premiers à se tourner vers le travail d’atelier. Et deux pièces qui appartiennent à ce passionné des arts urbains, comme l’ensemble des œuvres présentées.
Le collectionneur Nicolas Laugero Lasserre à l’école 42. | PHILIPPE LOPEZ / AFP
« Quand j’ai entendu parler de cette école à son ouverture, il y a trois ans, j’ai été fasciné », confie-t-il. Une école recrutant des développeurs sans barrière de diplômes (le bac n’est pas requis) ou financière (elle est totalement gratuite, pour deux à cinq années de formation), ouverte 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 : la logique entrait en résonance avec les talents issus de la rue qui se sont imposés dans l’espace public en cassant les codes du monde de l’art. « J’ai tout de suite proposé d’y exposer des œuvres. D’abord une trentaine, puis aujourd’hui 150. »
Nicolas Laugero-Lasserre dit avoir organisé « plus de 40 expositions en dix ans. Pour moi, ce lieu d’exposition permanent est un aboutissement ». Dévoué à sa cause – offrir une « meilleure visibilité » aux arts urbains et « démocratiser l’accès à l’art » – il n’en recèle pas moins sa part de contradiction. N’est-il pas paradoxal de vouloir mieux faire connaître un mouvement et ses acteurs par un travail réalisé pour la vente en galerie, alors que précisément ces artistes réalisent des œuvres dans les rues du monde entier, notamment à Paris, et partagent leurs images largement sur internet ?
Une collection très axée sur la France
D’autant que le collectionneur déplore que la « reconnaissance des arts urbains » soit venue par « le développement du marché ». L’expression a de quoi laisser un peu perplexe dans la bouche de celui qui dirige aujourd’hui l’Icart, école du management de la culture et du marché de l’art. La formulation de « musée du street art » ne lui semble-t-elle pas présomptueuse ? « C’est à la fois de la com, et une provocation : on a kidnappé ce terme de ‘musée’, dans l’esprit pirate de ce mouvement », concède-t-il.
« Ce n’est pas un musée, c’est simplement une partie de la collection personnelle de Nicolas Laugero-Lasserre exposée dans une école, résume, un peu déçu, Jérémy, 25 ans, agent d’artistes. Mais après, cette collection est super, très éclectique, avec des peintures à la bombe, des pochoirs, des sculptures, du dessin. Il y a des pièces intéressantes, d’autres ne sont pas les meilleurs des artistes exposés. »
A l’accueil de l’école 42, on aperçoit un tableau de l’Américain Shepard Fairey (alias OBEY), une sculpture du Français Rero, et un pochoir de C215. | PHILIPPE LOPEZ / AFP
La scénographie de l’ensemble est organisée en fonction de la notoriété, le rez-de-chaussée étant occupé par les œuvres d’artistes phares du mouvement : dans le hall d’entrée trônent plusieurs œuvres de Shepard Fairey et de ZEVS, un amusant tableau de Dran, une mosaïque d’Invader ou encore ce qui n’est que très relativement une œuvre de Banksy, puisqu’il s’agit d’une... pochette de disque. Dans le « cluster 1 », grand plateau de travail, les strictes rangées d’ordinateurs sont désormais ponctuées d’accrochages sur les quatre faces des larges poteaux et sur les murs.
Le cluster 2, au premier étage, s’attache aux « œuvres majeures de la scène française », tandis qu’au dernier étage sont présentées celles d’artistes émergents. In fine, hormis une poignée de Britanniques et d’Américains ainsi que quelques artistes européens (Blu, Evol, Vhils…), la collection est très axée sur la France (JR, Miss Van, Honet, C215, Brusk, Seth, sans compter les pionniers Ernest Pignon-Ernest et Jacques Villéglé).
« C’est mieux que des murs blancs »
Au sous-sol a été bricolé un joyeux mur d’impressions couleur de photos de murs réalisés récemment à Paris ou ailleurs, et immortalisés par des photographes spécialisés. Dans les espaces de circulation, enfin, quelques artistes ont été invités à travailler à même les murs – tous ont récemment été exposés (gratuitement et sans commission sur les ventes) à la galerie d’Artistik Rezo, club culturel dont le président-fondateur n’est autre de Nicolas Laugero-Lasserre.
Aperçu de l’accrochage dans un des plateaux de travail de l’école 42. | PHILIPPE LOPEZ / AFP
Qu’en pensent les étudiants des lieux ? « Je ne m’intéresse pas vraiment à l’art, mais c’est mieux que des murs blancs, admet Geoffrey, qui vient d’intégrer l’école. Et ça permet au collectionneur d’entreposer ses œuvres », ajoute-t-il, pragmatique. Jean-Philippe, 27 ans, se passionne pour sa formation, moins pour ce qu’il y a sur les murs, pour le moment. « Je ne suis pas du tout initié à l’art. C’est quelque chose qui se travaille, comme le palais avec le vin. Moi, pour l’instant, j’apprends à coder ! » résume-t-il.
Cet adepte du cluster 3, « le plus silencieux », s’inquiète plutôt du bruit que pourraient générer les visites. Celles-ci seront limitées à deux heures le mardi soir, et quatre heures le samedi à la mi-journée, avec une jauge maximale de 100 personnes par heure, afin de perturber le moins possible les lieux.
Art 42 96, boulevard Bessières, Paris 17e, est accessible le mardi de 19 heures à 21 heures et le samedi de 11 heures à 15 heures, avec des visites guidées gratuites par des étudiants de l’Icart toutes les demi-heures à réserver en ligne sur www.art42.fr