En Afrique, le transport ferroviaire intéresse à nouveau
En Afrique, le transport ferroviaire intéresse à nouveau
Par Vincent Defait (contributeur Le Monde Afrique, Addis-Abeba)
Plusieurs Etats du continent voient dans le train le moyen de développer leur industrie. Les entreprises chinoises et françaises sont sur les rails.
Une page se tourne en Ethiopie. La ligne ferroviaire reliant la capitale Addis-Abeba au port de Djibouti va de nouveau fonctionner. Pas l’ancienne, construite au début du XXe siècle par des ingénieurs français, puis tombée en désuétude ces dernières décennies. Une autre ligne, construite cette fois-ci par une entreprise chinoise, est inaugurée ce 5 octobre. L’Ethiopie n’est pas seule à s’intéresser au transport ferroviaire. Actuellement, l’ensemble des projets d’investissements actuels en Afrique représente 495 milliards de dollars (441 milliards d’euros), d’après Africa Rail, une conférence annuelle qui réunit les professionnels du secteur chaque année.
En grande majorité héritées de la colonisation européenne, les voies ferrées d’Afrique sub-saharienne sont aujourd’hui dans un piteux état, à l’exception du réseau sud-africain. Les raisons sont nombreuses : peu d’investissements, matériel désuet, manque de connectivité entre les pays, mauvaise gestion… L’instabilité politique du continent n’a rien arrangé. Dans les années 1990, la majorité des Etats ont cédé la gestion des entreprises nationales à des sociétés privées, souvent européennes. Avec des résultats mitigés : le fret ferroviaire africain ne représente que 7 % du volume global et le trafic de passagers sur le continent ne compte que pour 2 % des déplacements mondiaux.
En Afrique, on a longtemps préféré la route, qui compte pour plus de 80 % du trafic. « Construire un kilomètre de rail coûte en moyenne 21 millions de dollars. La route est dix fois moins cher », justifie Soteri Gatera, de la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies (Uneca). Le continent ne compte ainsi que 51 000 km de voies ferrées, contre 348 500 km en Europe. Or, sans train, pas d’industrialisation, ni de commerce, répète-t-on dans les rapports des institutions internationales. Et « sans industrialisation, pas de développement », résume Getatchew Betru, patron de l’Ethiopian Railways corporation.
Tour d’horizon des grands projets, sur papier ou en cours de construction.
Ethiopie-Djibouti, le corridor en or
La quasi-totalité des exportations et des importations éthiopiennes passe par le port de Djibouti. En réduisant le trajet de plusieurs jours à une douzaine d’heures, les deux pays espèrent fluidifier leur commerce. Addis-Abeba compte aussi sur une diminution des taxes portuaires, forcément élevées dans le port embouteillé. Ces 760 km de voie ferrée, principalement dédiée au fret, ne sont qu’une infime portion des 5 000 km que le gouvernement éthiopien ambitionne de construire pour relier sa capitale aux pays limitrophes. La ligne Addis-Djibouti a coûté 3,4 milliards de dollars, couvert à 70 % par un prêt de la banque chinoise ExIm et à 30 % par le gouvernement éthiopien. Le marché a été attribué à deux entreprises chinoises. La prochaine ligne, reliant l’est au nord de l’Ethiopie, est construite par une entreprise turque.
Mombasa, porte d’entrée vers l’Afrique de l’Est
Le East Africa Railway Masterplan est un projet énorme. Il vise à réhabiliter ou à construire des voies ferrées entre le port de Mombasa, au Kenya, et les capitales ougandaise, rwandaise et sud-soudanaise. Pour l’heure, le chantier s’étale entre Mombassa et Nairobi, le long de 609 km qui coûtent à l’Etat kényan près de 4 milliards de dollars, financés à 90 % par un prêt de la banque chinoise ExIm Bank. La ligne est censée être opérationnelle en juin 2017 et devrait permettre le transport de dix fois plus de marchandises que l’actuelle ligne, construite par les colons britanniques.
D’après l’étude de faisabilité publiée en 2009, les volumes transportés sur le réseau est-africain devraient passer de 3,7 millions de tonnes à 16 millions de tonnes d’ici 2030.
L’Afrique de l’Ouest dans le flou
Cela fait près d’un siècle que le projet est ressassé : relier par les rails la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso, le Niger, le Bénin et le Togo. Soit 2 700 km à travers l’Afrique de l’Ouest. Il y a moins d’un an, le groupe Bolloré Africa Logistics annonçait vouloir investir 2,5 milliards d’euros dans la « boucle ferroviaire oust-africaine ». Il s’agit de réhabiliter des tronçons existants et vieillissants, d’en construire d’autres en particulier entre le Niger et le Burkina Faso et entre le Niger et le Bénin.
Depuis, les obstacles – légaux, judiciaires, politiques – se sont amoncelés. Aujourd’hui, les travaux ont cessé au Bénin où l’homme d’affaires Samuel Dossou conteste l’octroie du marché au groupe français.
Les travaux de réhabilitation devraient commencer prochainement sur la portion Abidjan-Ouagadougou, dont le groupe français a la concession.
De son côté, le Sénégal a récemment annoncé vouloir réhabiliter ou construire 1 500 km de voies ferrées dans les cinq prochaines années. Le début des travaux est annoncé pour 2017.
L’Afrique australe d’est en ouest
Début septembre, les gouvernements du Botswana, du Mozambique et du Zimbabwe ont signé un accord de réhabilitation et de construction de 1 500 km de voie ferrée entre le port de Techobanine, au Mozambique, et le nord du Botswana. Chaque Etat s’est engagé à financer le projet à hauteur de 200 millions de dollars chacun. Avec le réseau existant, la région voit passer 2 millions de tonnes de fret. L’objectif est d’atteindre 12 millions de tonnes.
Surtout, cela offrirait à Botswana, pays enclavé, un débouché maritime. Un autre projet – le Trans Kalahari Railway – en discussion depuis plusieurs années entre la Namibie et le Botswana, prévoit de relier la capitale Gaborone au port namibien Walvis Bay.