Les obstacles aux référendums voulus par Nicolas Sarkozy
Les obstacles aux référendums voulus par Nicolas Sarkozy
Par Adrien Sénécat
L’ancien chef de l’Etat a proposé deux projets de référendums vendredi soir. Un certain nombre d’obstacles politiques et juridiques s’opposent à cette mesure.
Nicolas Sarkozy a promis, vendredi 7 octobre sur France 2, d’organiser deux nouveaux référendums s’il était élu président de la République en 2017. Le premier porterait sur le regroupement familial, le second sur l’internement des fichés S jugés les plus dangereux. Ces propositions soulèvent plusieurs questions juridiques, politiques et sur les mesures proposées en elle-même. Eléments de réponse.
Est-il possible de poser ces deux questions dans le cadre d’un référendum ?
PLUTÔT NON
Les deux projets de référendums porteraient sur les deux thèmes suivants :
La suspension du droit automatique des regroupements familiaux ;
L’internement administratif des individus fichés S « les plus dangereux ».
Contacté par Le Monde, l’entourage du candidat précise qu’il s’agit des thèmes qui seraient soumis au référendum, mais que la formulation des questions envisagées reste à préciser. Dans les deux cas, il s’agirait de référendums législatifs, dans le cadre de l’article 11 de la Constitution.
Le texte dit qu’un référendum peut être organisé sur tout projet de loi qui relève de « l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions. »
Or, « aucun des deux sujets envisagés par Nicolas Sarkozy ne rentre dans l’article 11 de la Constitution. Il s’agit de questions sur les droits de l’homme qui n’entrent pas dans ce cadre », estime Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne.
« L’un comme l’autre ne semblent pas rentrer dans le domaine de cet article », renchérit Jean-Philippe Derosier, constitutionnaliste et professeur de droit public à l’université de Lille. Le juriste estime qu’on pourrait se demander si la question sur le regroupement familial rentrait dans le champ du « social », mais répond qu’on entend en principe par ce terme le « droit des travailleurs et la politique sociale », pas la politique famille, les droits de l’homme ou l’immigration.
Quelles seraient les conséquences si les questions étaient jugées hors du champ prévu par la Constitution ?
UNE POSSIBLE ANNULATION DES RÉFÉRENDUMS
L’article 60 de la Constitution reconnaît au Conseil constitutionnel un rôle de contrôle des opérations référendaires, renforcé par la jurisprudence Hauchemaille de 2000. Selon les deux juristes, l’instance aurait toutes les chances de juger les deux questions de Nicolas Sarkozy incompatibles avec la procédure du référendum législatif et pourrait en empêcher la tenue. Ironie du sort : il faudrait alors réviser la Constitution, en réunissant le Congrès ou par référendum, pour organiser des référendums sur ces sujets précis.
Une autre possibilité pourrait s’offrir en théorie au candidat, hors du cadre du référendum législatif : engager la procédure de révision de la Constitution prévue par son article 89, par exemple pour réécrire les passages du texte qui s’opposent à l’internement des « fichés S les plus dangereux ». Cette formule a néanmoins l’inconvénient qu’elle suppose de faire adopter le projet de révision à l’Assemblée nationale et au Sénat en des termes identiques avant de le soumettre aux Français par référendum ou au Congrès (où il faut alors réunir une majorité des 3/5e). Mais il ne disposerait pas de la majorité requise avant les législatives de 2017.
Est-il possible d’organiser des référendums aussi rapidement après l’élection ?
PLUTÔT OUI
Nicolas Sarkozy avance la date du 18 juin 2017, jour du second tour des législatives, pour organiser ces deux référendums. Le directeur de campagne d’Alain Juppé, Gilles Boyer, s’est interrogé sur ce choix sur Twitter : « Je crois me souvenir qu’un référendum n’est possible que pendant les sessions du Parlement »… L’entourage de Nicolas Sarkozy a répondu ensuite que l’Assemblée actuelle serait convoquée en session extraordinaire.
La réalité est encore plus simple : les élus ne siègent en principe pas pendant les campagnes électorales, mais la session parlementaire en elle-même n’est pas officiellement terminée avant le dernier jour ouvrable de juin. Les parlementaires peuvent en principe tout à fait être convoqués par le gouvernement avant cette date, comme le prévoit la Constitution (cela s’est fait en 1995, par exemple).
Cette hypothèse présente en revanche une grosse incertitude politique : de retour sur les bancs de l’Assemblée nationale, les députés auraient la possibilité de déposer une motion de censure contre le gouvernement. Or, dans le cas de figure où la droite remporte la présidentielle, la gauche conserverait tout de même sa majorité à l’Assemblée en attendant les législatives de juin. Techniquement, le gouvernement pourrait donc être renversé.
Sur le plan du calendrier, en revanche, le délai est tenable, bien que serré, estime Jean-Philippe Derosier. Bruno Le Maire a imaginé le calendrier dans son programme, qui supposerait une campagne très courte sans contrevenir à la législation.
Le référendum sur les « fichés S » suffirait-il à trancher le débat juridique sur ce sujet ?
PAS VRAIMENT
Nicolas Sarkozy a défendu cette idée sur France 2 en laissant entendre qu’elle permettrait de trancher le débat sur la possibilité ou non de mettre en application un internement de personnes fichées S. L’un des obstacles qui était avancé à la mesure était en effet qu’elle était contraire à la Constitution et à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
Le gouvernement avait en effet étudié la possibilité d’un tel dispositif fin 2015, en posant la question au Conseil d’Etat. La question était la suivante : s’agissant des « personnes radicalisées », qui présentent des « indices de dangerosité », mais n’ont jamais été condamnées pour des faits de terrorisme, « la loi peut-elle autoriser une privation de liberté des intéressés à titre préventif et prévoir leur rétention dans des centres prévus à cet effet ? » La réponse du Conseil d’Etat datée du 23 décembre 2015 est catégorique :
« Il n’est pas possible d’autoriser par la loi, en dehors de toute procédure pénale, la rétention, dans des centres prévus à cet effet, des personnes radicalisées, présentant des indices de dangerosité et connues comme telles par les services de police, sans pour autant avoir déjà fait l’objet d’une condamnation pour des faits de terrorisme. »
L’examen des motifs invoqués dans cet avis consultatif montre qu’il y avait en effet l’argument de la Constitution française, mais pas seulement. Le Conseil d’Etat lui opposait aussi l’article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui dit que « toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales. »
Explications du Conseil d’Etat : « Dans la liste de cas dressés par cet article, liste qui est limitative ainsi qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, ne figure pas la détention, à des fins purement préventives, d’une personne non aliénée dont le comportement, tel celui d’un individu radicalisé, présenterait un danger pour la sécurité publique ou l’ordre public. » En clair, la mesure est jugée contraire à la Convention par conseil d’Etat.
Au-delà de la Constitution française, qu’il est possible de réviser par référendum, la mise en place de la mesure souhaitée par Nicolas Sarkozy supposerait d’enfreindre le droit européen, en lui opposant le vote populaire.
Par ailleurs le chef de l’Etat ne précise pas sur quels critères seraient définis les « fichés S les plus dangereux ». Or, la fiche S n’est pas un outil d’évaluation de la dangerosité des personnes, mais un outil de surveillance.
Le regroupement familial est-il « automatique » ?
C’EST FAUX
Par ailleurs, le regroupement familial, qui concernait environ 12 000 personnes en 2015 en France, n’est pas un droit « automatique » comme le laisse entendre Nicolas Sarkozy. Il y a en effet plusieurs conditions à remplir pour qu’une demande soit acceptée.
L’étranger à l’origine du regroupement doit résider depuis au moins 18 mois de façon légale en France. Il doit aussi posséder l’un des titres suivants :
une carte de séjour temporaire d’au moins un an portant la mention salarié ou vie privée et familiale ou visiteur ou commerçant ou étudiant ou profession artistique et culturelle ;
ou être titulaire d’une carte de résident ;
ou d’une carte de résident longue durée de l’Union européenne de 10 ans ;
ou d’un certificat de résidence pour Algérien d’un an ou de 10 ans (ce dernier doit par ailleurs résider en France depuis plus d’un an) ;
ou d’un récépissé de demande de renouvellement d’un de ces titres.
L’étranger doit par ailleurs, dans la majorité des cas, justifier de ressources supérieures à un certain montant (1 139,21 euros sur les 12 derniers mois précédant la demande pour une famille de deux ou trois personnes) issues du travail salarié ou non, de pensions de retraite ou de gestion de patrimoine (le RSA et les prestations familiales, notamment, en sont exclus). Il doit également disposer d’un logement adéquat.
L’époux ou l’enfant concerné par le regroupement familial doit lui aussi répondre à un certain nombre de critères. Il est notamment précisé que « l’époux ou l’enfant peut être exclu du regroupement familial si sa présence en France peut constituer une menace pour l’ordre public. » Les familles polygames sont également exclues du regroupement familial.