Le ministre des affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, et son homologue russe, Sergueï Lavrov, à Moscou, le 6 octobre. | Pavel Golovkin / AP

C’est un exercice de haute voltige diplomatique. Reconfirmée par Moscou soulignant que « les préparatifs se poursuivent », la visite à Paris, mercredi 19 octobre, de Vladimir Poutine représente un sérieux casse-tête pour les autorités françaises. Il est impossible de faire comme si de rien n’était après le veto russe au Conseil de sécurité de l’ONU pour bloquer le projet de résolution française exigeant « un arrêt immédiat » des bombardements russes sur Alep.

Mais Paris ne veut pas prendre le risque de s’attirer la vindicte de l’homme fort du Kremlin alors même qu’il reste un interlocuteur aussi difficile qu’incontournable pour résoudre la crise en Ukraine ou trouver une solution diplomatique au conflit syrien. « Ni rupture ni complaisance », a résumé le ministre français des affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, tout en rappelant que la Russie, malgré la crise actuelle, est « un pays partenaire, pas un adversaire ».

Le président français et son homologue russe ont eu en 2015 plus d’une vingtaine d’entretiens téléphoniques. Mais après l’annulation de sa visite en Pologne en rétorsion à l’abandon par Varsovie du contrat pour 50 hélicoptères militaires fabriqués par Airbus, François Hollande ne peut pas ne pas marquer le coup face à celui qu’il accuse explicitement de crimes de guerre en Syrie.

Dans une interview diffusée lundi soir sur TMC – mais enregistrée samedi –, le chef de l’Etat avait publiquement reconnu « se poser la question » de savoir s’il faut recevoir Vladimir Poutine. « Est-ce utile ? Est-ce nécessaire ?, a affirmé le chef de l’Etat. Si je le reçois, ce sera pour lui dire que c’est inacceptable ; que c’est grave pour l’image de la Russie. » Haussant le ton, le président français a aussi affirmé à propos des bombardements russes et syriens visant sciemment les hôpitaux à Alep que « ceux qui commettent ces actes auront à en payer la responsabilité, y compris devant la Cour pénale internationale ». De quoi irriter un peu plus Moscou même si la menace est toute théorique.

« Réduction du niveau de la visite »

La Syrie – et la Russie non plus – n’a jamais ratifié le traité instaurant cette cour permanente chargée de juger les crimes les plus graves, crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocides. Toute saisine doit donc être approuvée par le Conseil de sécurité de l’ONU où la Russie peut exercer son veto. Mais Moscou persiste. « Cette tentative avortée d’abuser de l’autorité du Conseil a confirmé que les initiateurs du projet français avaient pour idée fixe de changer le régime syrien de manière non constitutionnelle avec l’aide du terrorisme international bénéficiant d’un soutien étranger généreux », précise un communiqué du ministère des affaires étrangères russe.

Les autorités françaises hésitent encore sur l’attitude à prendre face à M. Poutine qui vient dans la capitale française pour inaugurer un « centre spirituel et culturel orthodoxe russe », dont une cathédrale. Une annulation ? Un report sous un prétexte quelconque comme un retard dans l’achèvement des travaux ? L’hypothèse privilégiée est celle « d’une réduction du niveau de la visite ».

« Si François Hollande reçoit Vladimir Poutine, c’est pour dire des vérités, pas des mondanités », selon Jean-Marc Ayrault

Prévue depuis plus d’un an, mais longtemps non confirmée, cette dernière était considérée dès le début comme une visite privée – même si diverses rencontres officielles étaient prévues, notamment avec le président français. Elles pourraient être annulées. Ce serait un camouflet pour le président russe qui veut se poser en acteur majeur, voire central, sur la scène internationale.

Hollande « laquais de la politique américaine »

Moscou mise sur les divisions de la classe politique française. Il peut compter sur ses défenseurs traditionnels, notamment à droite. Comme l’ancien premier ministre et député LR de Paris François Fillon, affirmant que, « bien sûr », le chef de l’Etat doit accueillir son homologue russe. Ou Thierry Mariani, député LR des Français de l’étranger, connu pour avoir mené à deux reprises une délégation de parlementaires français dans la Crimée annexée en 2014. Ce dernier a affirmé à la chaîne de télévision Russia Today qu’en refusant cette rencontre, François Hollande « se met au niveau de laquais de la politique américaine ».

Néanmoins, rien n’est tranché. Les deux capitales sont en contact permanent « pour vérifier si les conditions d’une rencontre sont possibles ». « Si François Hollande reçoit Vladimir Poutine, c’est pour dire des vérités, pas des mondanités », a rappelé Jean-Marc Ayrault. Il s’agit de voir s’il est possible d’arriver à quelques résultats sur la Syrie mais surtout sur l’Ukraine.

Dans la foulée de cette visite est prévue dans la capitale allemande une rencontre avec la chancelière, Angela Merkel, le président russe et son homologue ukrainien, Petro Porochenko, afin de relancer les accords de Minsk de février 2015, parrainés par Paris et Berlin et destinés à instaurer la paix avec les séparatistes prorusses dans l’est de l’Ukraine. Ce projet de sommet au format dit « Normandie » – parce qu’ébauché lors des commémorations du 70e anniversaire du Débarquement de juin 1944 – n’est pas encore abandonné. Même s’il semble plus difficile à mettre en œuvre.