Le Nobel de littérature à Bob Dylan déchaîne les vents contraires sur la twittosphère littéraire
Le Nobel de littérature à Bob Dylan déchaîne les vents contraires sur la twittosphère littéraire
Par Eric Loret
« Je suis fan de Dylan, mais c’est une récompense nostalgique et malade arrachée aux prostates séniles de hippies bavards », a twitté l’écrivain Irvine Welsh.
C’est en 2011 que le fantôme de Bob Dylan a commencé à inquiéter l’Internet. Le site de pari britannique Ladbrokes.com, qui donne assez souvent le « vainqueur » du Nobel dans les trois premiers de son classement, faisait cette année-là pour la première fois peser la menace – ou l’épiphanie – du musicien américain sur le prix. Face au tollé de la twittosphère, en particulier, dénonçant la fin de la littérature, l’académie suédoise avait peut-être reculé. N’importe qui, mais pas Dylan ? OK, sembla-t-elle penser. Ce fut Tomas Tranströmer, qui était en effet n’importe qui pour la plupart des lecteurs, la renommée du poète suédois ayant mal passé les frontières.
Maintenant que le séisme jadis redouté a eu lieu, les réactions sont-elles différentes d’il y a cinq ans ? Certes, 140 signes laissent peu de place à la théorie littéraire. En 2011, tout le monde semblait se rappeler ce qu’était la littérature et ce qui n’en était pas : Bob Dylan n’en était définitivement pas, malgré les troubadours, malgré la poésie orale… Or, qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, c’est bien à la poésie que ressortit le travail de Dylan. C’est d’ailleurs à cette tradition orphique que se référait le nobélisable Salman Rushdie en tweetant, quelques heures après l’annonce : « D’Orphée à Faiz, la chanson et la poésie ont toujours été liées. Dylan est l’héritier brillant de la tradition des bardes. Excellent choix. »
Pas plus énervée, une des autres potentielles déesses de la littérature mondiale, Joyce Carol Oates, retweetait Rushdie et, commentant un tweet qui proposait Leonard Cohen, ajoutait : « Leonard Cohen, oui, il le mérite bien. » Mais dans le même temps, leur confrère écossais Irvine Welsh vexait un peu ses fans et ceux de Bob en gazouillant : « Je suis fan de Dylan, mais c’est une récompense nostalgique et malade arrachée aux prostates séniles de hippies bavards. »
FREDERIC J. BROWN / AFP
« C’est rire et chansons »
Du côté français, deux heures après le verdict, la plupart des commentaires négatifs revenaient à la « droitosphère », ironisant sur le fait que les candidats de télé-réalité ou n’importe quel chanteur de variétés étaient désormais nobélisables. Chez les écrivains, certains, comme Alain Mabanckou, annoncent simplement la nouvelle, quelques téméraires épanchent leur chagrin à l’AFP (« J’aime Dylan mais il n’a pas d’œuvre. Je trouve que l’Académie suédoise se ridiculise. C’est méprisant pour les écrivains », se désole Pierre Assouline) et les comptes les plus suivis faisaient en fin d’après-midi toujours silence radio, au milieu d’un concert anonyme de réjouissances. Peut-être parce que, comme Bardot dans Le Mépris de Godard, nos best-sellers n’ont « rien à dire » – une vertu rare – ou parce que la plupart de ces comptes sont dévolus à l’autopromotion et non à la politique, fût-elle esthétique.
François Bon, auteur de Bob Dylan, une biographie en 2007 chez Albin Michel et twitto émérite, donnait le ton pour ceux qui auraient voulu solliciter ses réactions : « Sont gentils les 15 journaleux qui s’occupent de ma gueule parce qu’ils y connaissent rien à Zimmy mais ont jamais levé petit doigt… » L’écrivain et traducteur Claro renchérissait sur les médias : « Les journalistes respirent. Ils ne vont pas être obligés de lire tout Roth ou DeLillo ou Rushdie… » Juste après avoir noté : « Le Nobel de littérature, maintenant, c’est rire et chansons, hein. »
Non qu’il ait quelque chose contre la musique, visiblement, si l’on suit le fil de ses tweets, mais plutôt quelque chose en faveur du livre et de la librairie. Au fond, comme si la dispute ne concernait plus la qualité de l’œuvre ni sa nature mais un sujet bien plus angoissant pour les écrivains : l’économie du livre dans notre société.