L’agriculture face au réchauffement climatique : le retour des chasseurs-cueilleurs ?
L’agriculture face au réchauffement climatique : le retour des chasseurs-cueilleurs ?
Par Pierre Le Hir
Le changement climatique pourrait plonger dans l’extrême pauvreté entre 35 et 122 millions de personnes supplémentaires d’ici à 2030.
Un marché à moitié vide à Akuem, au Soudan du Sud, en octobre. Plus de la moitié des récoltes ont été perdues dans la région à cause des canicules, inondations et maladies. | ALBERT GONZALEZ FARRAN / AFP
« Pour éliminer la faim et la pauvreté d’ici à 2030 tout en s’attaquant à la menace que constitue le changement climatique, une transformation profonde des systèmes alimentaires et agricoles sera nécessaire partout dans le monde. » C’est le message pressant délivré par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), dans l’édition 2016 de son rapport sur la situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture, rendu public lundi 17 octobre.
Vis-à-vis du dérèglement climatique, le secteur de l’agriculture – dans son acception large regroupant cultures, élevage, pêche et foresterie – est à la fois victime et coupable. Il subit en effet de plein fouet, surtout dans les pays du sud, les effets de la hausse des températures, des phénomènes climatiques extrêmes, des sécheresses, de la montée du niveau des mers, de l’acidification des océans, de la dégradation des terres et de la perte de biodiversité.
La sécurité alimentaire de la planète
« Sans action immédiate, le changement climatique constituera une menace pour des millions de personnes qui risquent de souffrir de la faim et de la pauvreté », préviennent les auteurs. Ils estiment qu’« entre 35 et 122 millions de personnes supplémentaires pourraient vivre en situation d’extrême pauvreté d’ici à 2030, en grande partie à cause des effets négatifs du changement du climat dans les secteurs de l’agriculture ». Les populations les plus affectées seraient celles d’Afrique subsaharienne et d’Asie du sud et du sud-est.
D’ici à 2030, les effets attendus du réchauffement sur le rendement des cultures, de l’élevage, des pêches et des forêts sont contrastés selon les régions, indiquent les rapporteurs. Ainsi, dans les zones tempérées, il est prévu une augmentation de la productivité du soja, du blé et des pâturages. Mais « au-delà de 2030, les effets négatifs du changement climatique sur les rendements agricoles s’accentueront dans toutes les régions ». Aux pertes de récoltes vont s’ajouter désertification, risques d’incendie accrus, chute des ressources halieutiques…
Or, rappellent les auteurs, « en 2050, la demande alimentaire mondiale devrait avoir augmenté de 60 % au moins par rapport à son niveau de 2006, sous l’effet de l’accroissement de la population, de l’augmentation des revenus et de l’urbanisation rapide ». Il en va donc de la sécurité alimentaire de la planète. « Le changement climatique fait resurgir certaines incertitudes datant de l’époque où nous étions tous des chasseurs-cueilleurs, commente José Graziano da Silva, directeur général de la FAO. Nous ne pouvons plus garantir que nous récolterons ce que nous avons semé. »
Un cinquième des émissions humaines
Mais les activités agricoles dans leur ensemble sont aussi responsables d’environ un cinquième des émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine.
Le secteur agricole, premier émetteur de gaz à effet de serre après l'énergie | FAO
Cela, principalement du fait de la fermentation entérique des ruminants, des déjections animales et des engrais, pour ce qui est des émissions directes de méthane et d’oxyde nitreux, mais aussi de la conversion des forêts en pâturages et en terres cultivées, pour ce qui concerne les rejets de gaz carbonique.
Malade d’un réchauffement dont elle est aussi l’une des causes, l’agriculture doit donc, à double titre, s’engager dans « une transformation profonde », estime la FAO. Celle-ci met l’accent sur la nécessité d’aider les petits exploitants des pays en développement, qui représentent 475 millions de foyers, à opérer une transition vers « des pratiques durables de gestion des terres, de l’eau, de la pêche et des forêts ». Ce qui ne doit pas exonérer l’agriculture intensive de se remettre également en question.
L’action plus coûteuse que l’inaction
Les auteurs n’ignorent pas l’ampleur et la complexité de la tâche, « en raison du grand nombre de protagonistes impliqués, de la multitude de cultures et de systèmes de transformation alimentaire, ainsi que des différences d’écosystèmes ». Mais aussi des difficultés d’accès des petits exploitants aux marchés, au crédit, aux services de vulgarisation agricole ou aux informations météorologiques. Pour autant, il est selon eux possible de promouvoir des pratiques « intelligentes face au climat ».
Elles passent par une diversification des productions, une plus grande intégration associant cultures, élevage et plantation d’arbres, ou encore le recours à des engrais verts, mais aussi par la levée de freins juridiques et socioculturels qui pèsent notamment sur l’activité des femmes, celles-ci représentant 43 % de la main-d’œuvre agricole dans les pays en développement.
Une chose est sûre : l’action est moins coûteuse que l’inaction. Les auteurs en veulent pour preuve l’exemple de l’Ouganda. Dans ce pays, une étude a montré que la perte de production animale et végétale due au changement climatique se chiffrerait entre 22 et 38 milliards de dollars par an (20 à 34 milliards d’euros) sur la période 2010-2050, alors que le budget nécessaire à l’adaptation du secteur agricole (systèmes d’irrigation plus efficaces, variétés de cultures améliorées, races animales mieux adaptées, facilités de crédit, etc.), serait de l’ordre de 650 millions de dollars par an (un peu moins de 600 millions d’euros) jusqu’en 2025. Un rapport coût bénéfice indiscutable.