A Amiens, la CGT défend ses ex-Goodyear
A Amiens, la CGT défend ses ex-Goodyear
LE MONDE ECONOMIE
Accusés d’avoir séquestré deux cadres en janvier 2014, huit salariés espèrent leur relaxe.
En janvier 2014 à Amiens. | DENIS CHARLET / AFP
Les 19 et 20 octobre, huit anciens salariés de l’usine de pneus Goodyear à Amiens-Nord (Somme), dont cinq délégués CGT, reviennent devant la justice. Ils demanderont leur relaxe devant la cour d’appel d’Amiens, après avoir été condamnés, le 12 janvier 2016 par le tribunal correctionnel, à deux ans de prison dont neuf mois ferme pour avoir séquestré deux cadres durant trente heures. Deux d’entre eux ont été condamnés pour violence en réunion.
Ils encourent tous cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende. Ce procès interviendra trois semaines après celui des quinze salariés d’Air France jugés pour l’épisode de la « chemise arrachée » d’un cadre de la compagnie.
Les faits ont eu lieu les 6 et 7 janvier 2014, après sept années de lutte sociale et juridique contre la fermeture de l’usine qui, finalement, interviendra dans le cadre d’un protocole de fin de conflit signé le 21 janvier 2014. Celui-ci prévoit notamment le retrait des poursuites judiciaires. La firme américaine a donc retiré sa plainte, et les deux cadres séquestrés – « retenus », selon la CGT Goodyear –, Bernard Glesser, directeur des ressources humaines, et Michel Dheilly, directeur de production, ont fait de même.
Les condamnés seront très entourés pour se rendre au palais de justice. La CGT, jusqu’au niveau confédéral, a organisé une mobilisation nationale à Amiens., avec prises de parole et concerts de soutien dans un parc de la ville. « On attend de 15 000 à 20 000 personnes », se félicite Mickaël Wamen, ex-leader de la CGT Goodyear Amiens-Nord, qui fait partie des condamnés et confie avoir « une pêche d’enfer : on va obtenir la relaxe pour nous tous ! », assure-t-il, « car on n’a rien fait de mal » lors de ces trente heures de tensions au sein de l’usine.
L’effet d’une bombe
Dans son réquisitoire, lors de l’audience le 24 novembre 2015 au tribunal correctionnel, le parquet avait souligné « ne pas tolérer, dans un Etat de droit, même dans un tel contexte social difficile » que les salariés « se rendent justice eux-mêmes ».
La dureté de la décision du tribunal avait fait l’effet d’une bombe dans le monde syndical et politique à gauche. L’année 2016 a été émaillée de plusieurs manifestations en France pour soutenir les ex-Goodyear et contre « la répression syndicale ».
« C’est la première fois que des peines de prison ferme sont prononcées contre des syndicalistes », a souligné Fiodor Rilov, l’avocat des ex-salariés et de la CGT.
« Le message envoyé est que militer peut vous coûter une partie de votre vie, constate M. Wamen. C’est une décision politique. »
Manuel Valls avait lui-même jugé cette sanction « indéniablement lourde » tout en estimant qu’il ne fallait pas « basculer dans la violence ». Elle avait suscité un malaise jusqu’au sein du gouvernement : Pascale Boistard, secrétaire d’Etat aux droits des femmes et députée de la Somme jusqu’en 2014, avait exprimé, sur Twitter, son « émotion fraternelle » devant « une si lourde condamnation ».
« Le parquet n’a aucune preuve tangible »
A la barre, tous les prévenus avaient évoqué « un coup de colère » face à une direction qui « n’apportait aucune réponse » à la « détresse sociale » alors que se profilait la fermeture du site et la peur du chômage. Mais selon M. Rilov, « aucun des huit condamnés n’a participé à la séquestration, au sens du code pénal. Le parquet n’a aucune preuve tangible ».
Dans ses conclusions, il avait retracé le déroulé de la journée du 6 janvier 2014 : deux délégués syndicaux dont M. Wamen, devaient retrouver M. Dheilly dans son bureau à 10 heures pour connaître la réponse du groupe à leur demande de rouvrir les négociations sur les conditions de départ dans le cadre de la fermeture de l’usine.
Mais ils apprennent par une secrétaire que M. Dhailly et M. Glesser sont descendus dans une salle de réunion pour annoncer la réponse – négative – du groupe. Or, cette salle était occupée par 200 salariés « manifestement hostiles », « en colère », souligne l’avocat. Et quand la réponse a été donnée, elle a « déclenché chez les salariés présents une réaction quasi inévitable que les dirigeants ne pouvaient pas ne pas avoir anticipé ».
« Montage grossier »
Selon lui, si les délégués CGT avaient alors quitté la salle, il est certain qu’une « catastrophe se serait produite ». Et s’ils s’étaient opposés à l’action en cours, « ils auraient été débordés et auraient perdu toute crédibilité » aux yeux des salariés. C’est donc en restant sur place qu’ils ont pu progressivement faire « retomber la tension et obtenir que les deux dirigeants soient relâchés », sans violence.
« Toute cette histoire est un montage grossier de personnes qui ont voulu nous faire la peau », assène M. Wamen.
Le jugement du 12 janvier 2016 souligne que les deux cadres ont décrit « une situation particulièrement anxiogène, exprimant avoir été privés de leur liberté d’aller et venir, avoir en outre ressenti une volonté de leur faire subir une pression afin de les atteindre psychologiquement ». Et avance que chaque condamné aurait joué un rôle dans la séquestration.
« Nous allons faire éclater la vérité sur les événements du 6 janvier 2014 », lance M. Rilov, qui promet « d’en révéler des aspects surprenants » lors de l’audience.
Les dates
3 avril 2007
La direction de Goodyear Dunlop Tires France propose la création d’un complexe réunissant les usines d’Amiens-Nord et Amiens-Sud en contrepartie d’un passage aux 4 × 8 et de la suppression de 550 postes. Amiens-Sud accepte, pas Amiens-Nord.
13 mai 2008
Annonce de 402 suppressions de postes à Amiens-Nord sur 1 400 et de la réduction de la production de pneus tourisme. C’est le début d’une longue bataille judiciaire. Aucun plan…