La Golden Division, les forces spéciales irakiennes, le 16 octobre, à Tal Aswad, à 12 kilomètres de la zone occupée par l’Etat islamique. | LAURENT VAN DER STOCKT POUR LE MONDE

Editorial du « Monde ». La bataille pour reprendre Mossoul, deuxième ville d’Irak, des mains de l’organisation Etat islamique (EI) peut marquer un tournant décisif dans la lutte contre le djihadisme international. A ce titre, elle ne concerne pas seulement ce malheureux pays, mais nous intéresse aussi directement. Il se joue ces jours-ci dans la vaste plaine de Ninive, terre de rocaille et de civilisation millénaire, un combat à la fois militaire et politique. La victoire doit être remportée sur ces deux fronts. Ou elle ne sera pas.

Une coalition hétéroclite, et dont chacune des parties poursuit des objectifs souvent assez singuliers, s’est lancée cette semaine à l’assaut de la grande ville du nord de l’Irak. Des unités de l’armée, de la police et de la gendarmerie irakiennes, encadrées par des forces spéciales américaines, montent par le sud. Elles ont l’appui de puissantes milices chiites irakiennes, souvent sous influence directe de l’Iran, qui restent pour le moment en deuxième ligne. Des forces kurdes irakiennes, accompagnées de milices arabes sunnites locales, les unes et les autres bénéficiant de l’appui de la Turquie, avancent à l’est. Dans le ciel, les avions des pays qui participent à la coalition internationale menée par les Etats-Unis et mobilisée à la demande du gouvernement de Bagdad.

En face, sans doute quelques milliers (de 3000 à 5000) de combattants de l’EI, retranchés dans une ville de plus de 1,5 million d’habitants. Ils ont miné, piégé tous les abords du centre. Ils vont se servir des civils comme d’un bouclier humain.

Fédéralisation avancée

Mossoul est le symbole de la transformation du mouvement djihadiste en une structure para-étatique : capturée au printemps 2014 par l’EI, elle est, avec la petite ville de Rakka en Syrie, le dernier bastion du « califat » d’Abou Bakr Al-Baghdadi. Chassé de la ville, l’EI redeviendrait un simple mouvement de guérilla, sans contrôle d’un territoire précis, privé de l’arrière-plan logistique et financier que lui procure le contrôle d’une grande cité comme Mossoul.

Pour le mouvement djihadiste, ce sera une lourde défaite, matérielle et symbolique. Mais elle ne prendra tout son sens que si elle est aussi politique. Au bord du Tigre, Mossoul, « la ville aux deux printemps », tant l’automne y est beau, est une cité plurielle, religieusement et ethniquement (kurde, turkmène, chrétienne, yézidi), mais elle est aujourd’hui majoritairement arabe musulmane sunnite. C’est la clé de son avenir.

L’émergence de l’EI est due à la marginalisation des sunnites d’Irak depuis 2003

L’émergence de l’EI est due à la marginalisation des sunnites d’Irak depuis 2003, souvent martyrisés par un gouvernement central dominé par la majorité chiite. Si, une fois reprise, Mossoul n’est pas confiée, d’une manière ou d’une autre, à une administration à dominante arabe sunnite, le terreau sur lequel a fleuri le djihadisme sera inchangé : l’EI aura été démantelé, mais le radicalisme islamiste renaîtra sous une autre appellation, au prétexte de la défense des sunnites. Entre les différentes forces qui progressent vers la « capitale » de l’EI en Irak, il y a un plan de bataille commun, mais, hélas, pas d’accord politique pour le jour d’après la victoire militaire.

Faible, contesté, courageux aussi, le premier ministre irakien, le chiite Haider Al-Abadi, rechigne à toute forme de fédéralisation avancée dans laquelle il décèle un risque de démantèlement. C’est pourtant la condition d’une réintégration des sunnites d’Irak dans leurs droits. La bataille de Mossoul se joue aussi à Bagdad.