En Israël, le combat des femmes pour la paix
En Israël, le combat des femmes pour la paix
Par Piotr Smolar (Jérusalem, correspondant)
Des milliers de femmes ont manifesté mercredi devant la résidence de Benyamin Nétanyahou. L’absence de plate-forme politique permet au mouvement, lancé en 2014 pendant l’opération « Bordure protectrice », de dépasser les clivages.
Des membres du mouvement Women Wage Peace manifestent en faveur de la paix devant la résidence du premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, le 19 octobre 2016 à Jérusalem. | AHMAD GHARABLI / AFP
Ni de droite ni de gauche, ni religieuses ni laïques, ni arabes ni juives, mais tout cela à la fois. C’est ainsi que se présentaient, mercredi 19 octobre, des milliers de femmes venues manifester pour la paix, sous les fenêtres de la résidence de Benyamin Nétanyahou, à Jérusalem. Vêtues de blanc, elles ont afflué de Galilée, de Tel-Aviv ou du Sud, pour faire entendre une voix modérée et pragmatique dans un débat public aujourd’hui écrasé par les discours sécuritaires et messianiques. Quelques femmes arabes d’âge mûr, à la tête couverte, étaient assises sur le trottoir, pendant que des Israéliennes, en majorité de gauche, reprenaient les chansons interprétées sur scène.
Le mouvement Les femmes œuvrent pour la paix (Women Wage Peace, WWP) revendique 23 000 bénévoles, un chiffre considérable à l’échelle israélienne. L’absence d’une plate-forme politique précise leur permet de dépasser les clivages. Pendant deux semaines, les bénévoles ont organisé des marches et des rassemblements au travers du pays, mais aussi en Cisjordanie, avec un seul message aux dirigeants israéliens et palestiniens : négociez !
Raya Kalisman est venue avec son fils et son beau-fils, histoire de ne pas se laisser enfermer dans un discours purement féministe. Mais cette femme passionnée, fondatrice du Centre pour les études humanistes au Musée des combattants des ghettos Lohamei Haghetaot, souligne la particularité du mouvement. « Les femmes pensent différemment. Aux générations suivantes, à la vie. On ne dit pas au gouvernement quel genre d’accord de paix est souhaitable, mais de s’engager dans une négociation. Notre organisation n’est pas de nature politique, elle réunit des personnes de tous horizons, qui estiment qu’on ne peut pas continuer encore longtemps à occuper deux millions de Palestiniens. C’est de la folie. Je ne veux pas que mes petits-enfants, devenus adultes, connaissent ça un jour. »
Le modèle libérien
Sharon A., professeur linguiste à l’université de Bar-Ilan ne souhaitant pas donner son nom, partage cette approche. « Notre mouvement n’est pas “contre”, mais pour, dit-elle. On veut que nos leaders s’assoient et trouvent une solution, assument leurs responsabilités historiques. Le modèle libérien est très fort pour nous. » De nombreuses participantes ont en mémoire le mouvement dit des Quatre mères, qui avait milité pour un retrait israélien du Sud-Liban à la fin des années 1990. Sans bénéficier du relais des réseaux sociaux, encore inexistants, elles avaient réussi à exercer une pression sur le gouvernement et l’appareil sécuritaire.
Mais le modèle choisi par les manifestantes est celui du Liberia. La présence mercredi de la prix Nobel de la paix 2011, Leymah Gbowee, a été chaleureusement saluée. « Si vous défendez ce en quoi vous croyez, même les hommes en armes auront peur de vous », a-t-elle déclaré, après avoir rencontré plus tôt le président israélien, Réouven Rivlin. Leymah Gbowee est célèbre pour avoir mobilisé des milliers de femmes libériennes afin de faire pression sur le régime de Charles Taylor et de mettre un terme à la guerre civile.
En Israël, l’effacement de la gauche travailliste, obsédée par les questions sécuritaires, et l’isolement des organisations non gouvernementales documentant les crimes et les abus de l’occupation, ont laissé un vide dans le débat public. Cette place, WWP entend l’occuper. Marie-Lyne Smadja, 55 ans, est co-fondatrice du mouvement. D’origine franco-tunisienne, cette chercheuse à l’université de Tel-Aviv, spécialisée dans le développement cognitif de l’enfance, se réjouit de « l’énorme chemin parcouru en deux ans ».
« La gestion du conflit a échoué »
Le mouvement est né à l’été 2014, pendant l’opération « Bordure protectrice » dans la bande de Gaza, qui causa la mort de près de 2 100 Palestiniens et de 73 Israéliens (dont 66 soldats) en cinquante jours. Ce nouveau cycle de violences, intervenu après l’enlèvement et l’assassinat de trois adolescents israéliens en Cisjordanie, a provoqué une prise de conscience chez l’universitaire, sioniste et jamais encartée auparavant dans un mouvement pour la paix. « J’ai toujours fait beaucoup de terrain et vécu dans la diversité culturelle, dit-elle. Là, en voyant la souffrance des gosses, je me suis dit que ce que je faisais ne changeait pas fondamentalement leur sort. »
Sa fille a combattu à la frontière libanaise en 2006. Son fils participe à « Bordure protectrice ». En tant que mère, Marie-Lyne connaît le prix de l’angoisse. Avec d’autres, elle cherche donc une nouvelle façon de mobiliser les énergies, en dehors des appareils partisans, qui disqualifient automatiquement les opinions divergentes. « La gestion du conflit a échoué, souligne-t-elle. On n’a ni sécurité ni paix. Après l’assassinat de Rabin [par un extrémiste juif en 1995], la gauche a délégitimisé la droite en l’accusant d’être responsable de sa mort. Maintenant, c’est le contraire. La droite délégitimise la gauche en l’accusant d’être des traîtres à la patrie et des partisans du terrorisme. Or une grande partie des Israéliens veulent des accords politiques avec les Palestiniens, mais ils veulent savoir sous quelles conditions, et signés par qui. Notre objectif était de refaire entrer le camp des modérés dans cette histoire-là. »
La première étape, symbolisée par le concert de mercredi, a consisté à réunir les bonnes volontés sur le terrain, partout, en Israël comme en Cisjordanie. La phase suivante, explique Marie-Lyne Smadja, consistera à « créer un lobby de femmes pour la paix ». Le terrain pour cela ne peut être autre que la Knesset (parlement). « Dès l’ouverture de la session d’hiver, prévient-t-elle, on sera 120 femmes [comme le nombre de députés] à assister à toutes les sessions. On ne les lâchera plus. »