Ratgod, de Richard Corben, Ed. Delirium, 148 pages, 24 €

« Ratgod », de Richard Corben (Delirium).

Non, non, le rat-dieu (ratgod dans l’original) de Richard Corben n’est pas un god-mickey ! Avec le dessinateur américain, on ne rigole jamais. Au contraire, quand il ne cherche pas à effrayer, il tente de perturber, que ce soit par ses monstres terrifiants ou ses filles aux seins à rendre sourds plusieurs générations d’adolescents mâles.

Lui qui, ordinairement, se contentait de quelques pages fulgurantes pour des récits aussi brefs que, parfois, décousus, s’essaie ici à une histoire complète de plus de cent pages, en plusieurs chapitres, cohérente et bien narrée. Ratgod (le rat-dieu donc, mais aussi le Dieu-rat) évoque bien sûr Lovecraft ou ses disciples, mais aussi un certain cinéma dans la lignée ambianciale des Massacre à la tronçonneuse. Corben connaît ses classiques. Dans le genre, il ne cherche pas à innover par sa trame narrative, mais par son dessin, qui va souvent plus loin que les caméras n’en sont capables.

« Ratgod », de Richard Corben (Delirium).

Avec le temps et le talent, son trait s’est épaissi mais clarifié, ses couleurs assombries. Le scénario, lui, rappelle bien des histoires du XIXe siècle états-unien. Une campagne arriérée, des personnages dégénérés, des Indiens amers et des Amérindiens en voie d’extinction, des maisons sinistres, des femmes nues délurées, une fillette dangereuse, des animaux diaboliques, des rituels exotiques, des morts-vivants et des vivants-morts, tout y est. Pourtant cette histoire reste originale, transcendée par le pinceau de Corben.

L’ombré et le dégradé, où l’ordinateur semble venir au secours de la main, donnent à chaque case une finesse d’une rare précision. Elle contraste parfois avec un flou savamment entretenu, dans un clair-obscur inquiétant, où éclatent des aplats très nets, eux, à l’effet percutant.

« Ratgod », de Richard Corben (Delirium)

On notera que son hésitation entre réalisme et détail satirique persiste avec les années. C’est ce qui peut classer Corben parmi les grotesques, tant sa volonté de surenchère fait parfois basculer l’horrible vers l’invraisemblable. Les personnages féminins, mamelus à l’extrême, jamais vraiment ni laides ni jolies, renforcent cette impression. En ce sens, Richard Corben est bien un artiste à part dans la BD de son pays, du temps de l’underground auquel il fut rattaché comme aujourd’hui.