Le jeu vidéo « dans les nuages » retente sa chance
Le jeu vidéo « dans les nuages » retente sa chance
Par Damien Leloup
Après un effet de mode au début des années 2010, le jeu dématérialisé tente de nouvelles approches.
Louer un PC virtuel capable de faire fonctionner dans les meilleures conditions des jeux vidéo récents, sans retards, et en qualité maximale : c’est le service plutôt original présenté le 21 octobre par une jeune entreprise française, Shadow, spécialisée dans le « cloud gaming ».
L’expression n’est pas très heureuse : le « cloud gaming », littéralement « jeu vidéo dans les nuages », consiste à délocaliser la machine qui fait réellement « tourner » le jeu. Côté utilisateur, une tablette ou un PC qui peut être peu puissant ; ce dernier se contente de diffuser la partie en cours, qui est en réalité gérée par une machine beaucoup plus puissante, et qui peut être située à l’autre bout du monde.
Au début des années 2010, cette nouvelle manière de jouer avait le vent en poupe. En juin 2012, Sony rachetait, pour 300 millions d’euros, la société Gaikai, spécialisée dans le cloud gaming, pour mettre en place le relativement confidentiel service PlayStation Now, qui donne accès à des dizaines de jeux PlayStation 3, contre un abonnement mensuel. De nombreux fournisseurs d’accès à Internet s’y sont également mis, tout comme Nvidia, qui propose un abonnement baptisé Geforce now.
La latence ou le retard fatal pour le joueur
Ces différents systèmes partagent plusieurs points communs : des catalogues de jeux fournis mais un peu anciens, des tarifs raisonnables (dix à vingt euros en moyenne l’abonnement), et… des problèmes de connectivité dès que les joueurs sont sur une ligne à faible débit. « Si vous prononcez le mot “cloud” devant des joueurs “hard-core”, ils vous répondront “c’est nul”, s’amuse Emmanuel Freund, cofondateur de Shadow. On veut justement prouver que c’est possible d’avoir un PC très performant, pour joueurs hard-core ou professionnels du jeu, qui tourne sans latence. »
La latence, c’est le délai qui naît du temps nécessaire pour faire circuler les informations sur Internet : en informatique dématérialisée, un clic sur la souris peut mettre quelques dixièmes de secondes à atteindre la machine qui gère le jeu. Un retard fatal pour la quasi-totalité des jeux en ligne, de Call of Duty à League of Legends, dans lesquels le moindre retard peut décider de l’issue d’une partie. Or, ce sont justement ces joueurs que Shadow compte recruter comme clients. Pour ce faire, l’entreprise propose un système dans lequel la machine virtuelle de chaque joueur est individualisée, avec plusieurs optimisations – les images transmises sont ainsi directement enregistrées depuis la carte graphique pour gagner quelques millisecondes.
Le point faible du réseau
Reste une difficulté : la transmission des données. « Le réseau, c’est la partie la plus difficile, concède M. Freund. Nous avons notre propre salle dans un data center en France, et un accord de transit direct avec les principaux opérateurs. » L’entreprise revendique une latence maximale de dix millisecondes, avec une moyenne à trois millisecondes pour les utilisateurs ayant une ligne fibre – un délai imperceptible. Pixels a pu essayer le Shadow au siège de l’entreprise, à Paris, et dans les conditions du test, la réactivité était parfaite – y compris pour une partie d’Overwatch en haute définition.
Le boîtier Shadow. | Shadow
Suffisant pour convaincre les joueurs hard-core d’abandonner leur PC pour le remplacer par un service dématérialisé ? Les tarifs sont compétitifs par rapport au prix d’un ordinateur « gamer » : à partir de 30 euros par mois, avec une box prêtée gratuitement et une configuration comprenant une carte graphique GeForce GTX 1070.
Reste à convaincre de l’efficacité et de la stabilité du système. Dans un premier temps, le service ne sera disponible que pour quelques utilisateurs – l’entreprise a opté pour un lancement « par tranches », avec une première précommande pour cinq cents clients équipés de la fibre, qui ouvrira durant la Paris Games Week, le 27 octobre. « Cela fait dix ans qu’on dit “le cloud, c’est maintenant”, constate Emmanuel Freund. Tout le monde sait que ça a du sens. Mais il faut que nous soyons certains que nos premiers clients n’aient aucun problème. »