Un Français sur deux est en surpoids
Un Français sur deux est en surpoids
Par Pierre Le Hir
Le suivi de près de 30 000 personnes montre que l’obésité reste un problème majeur de santé publique, en particulier chez les plus pauvres.
Au CHU d’Angers, en octobre 2013. | JEAN-SEBASTIEN EVRARD / AFP
Trop gras, trop gros. Voilà le portrait-robot de près d’un Français – et d’une Française – sur deux, tel qu’il ressort d’une étude publiée, mardi 25 octobre, dans le Bulletin épidémiologique hebdomadaire. Inédite par son ampleur et sa méthodologie, elle confirme que l’obésité est très fortement corrélée aux inégalités sociales.
Ces résultats sont issus du suivi de la « Cohorte constances », un programme de recherche lancé en 2012, que pilotent conjointement l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et la Caisse nationale de l’assurance-maladie des travailleurs salariés (Cnamts). Plus de 110 000 volontaires sont déjà suivis au sein de cette cohorte, qui rassemblera à terme 200 000 personnes.
Les épidémiologistes ont passé au crible les données de près de 29 000 participants âgés de 30 à 60 ans en 2013, répartis à égalité presque parfaite entre les deux sexes. Les 18-29 ans ont été écartés de l’analyse, l’effectif de cette tranche d’âge dans la cohorte étant pour l’instant insuffisant. Ils ont évalué les situations de surpoids, défini par un indice de masse corporelle (IMC) supérieur à 25, et d’obésité (IMC supérieur à 30). Cet indice est donné par le rapport entre le poids (en kg) et la taille au carré (en mètre).
Déséquilibre entre les sexes
Il apparaît que 41 % des hommes souffrent de surpoids et 15,8 % d’obésité – respectivement 25,3 % et 15,6 % pour les femmes. Soit, surpoids et obésité confondus, 56,8 % d’hommes et 40,9 % de femmes en surcharge pondérale. Le déséquilibre entre les deux sexes se retrouve dans toutes les études sans que les chercheurs sachent vraiment l’expliquer, sinon, peut-être, par des facteurs culturels qui font qu’un homme « enveloppé » ou « rondouillard » jouit d’une image sociale moins négative qu’une femme « grassouillette ».
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« Ces résultats ne sont pas une surprise. Ils confirment les tendances déjà mises en avant par les études antérieures », commente Marie Zins, médecin épidémiologiste et directrice de l’unité Inserm « Cohortes en population », qui a participé à ce travail. En particulier, l’enquête ObÉpi de 2012 avait fait apparaître un taux d’obésité de 15 %, comparable aux nouveaux chiffres, chez les plus de 18 ans.
Mais cette enquête n’était que déclarative, les participants, tirés au sort, étant interrogés au téléphone sur leur poids et leur taille, qu’ils mesuraient eux-mêmes. Cette fois, les relevés ont été faits par des professionnels dans des centres d’examen de santé, selon une procédure standardisée. D’autres études aboutissaient elles aussi à des données voisines, mais à partir d’un échantillon de quelques milliers de personnes seulement.
En outre, un nouvel indicateur a été pris en compte : l’obésité abdominale, caractérisée par un tour de taille d’au moins 94 cm chez un homme et 80 cm chez une femme. Il s’avère que cette taille trop replète est beaucoup plus fréquente que l’obésité globale : elle touche 41,6 % du sexe masculin et 48,5 % du sexe féminin. Or, des travaux scientifiques ont montré que l’utilisation du seul IMC comme jauge de bonne santé peut conduire à sous-estimer les risques d’affections cardiovasculaires ou métaboliques, et que les bourrelets aux hanches sont eux aussi à considérer.
« Problème sanitaire majeur »
« Globalement, l’excès de poids continue d’augmenter légèrement au sein de la population, observe Mme Zins. Mais on n’assiste pas à une explosion de l’obésité. » En 1980, celle-ci ne concernait que 6,1 % des adultes et, entre 1997 et 2012, sa prévalence (nombre de cas) a progressé de 76 %. Ces dernières années, cette croissance a fortement ralenti. Pour autant, ajoute l’épidémiologiste, « l’importance de l’obésité reste préoccupante en termes de santé publique ». L’excès de masse graisseuse a en effet pour conséquence une augmentation de nombreuses pathologies : maladies cardiovasculaires, diabète, problèmes articulaires, troubles respiratoires, dépression ou cancers de plusieurs types, notamment du foie, de l’utérus ou du sein après la ménopause.
« Ces chiffres montrent que l’obésité reste un problème sanitaire majeur », renchérit Sébastien Czernichow, professeur de nutrition à l’université de Versailles–Saint-Quentin-en-Yvelines et chef du service de nutrition de l’Hôpital européen Georges-Pompidou, lui aussi coauteur de l’étude. Et cela malgré le plan de lutte contre l’obésité appliqué en France de 2010 à 2013, avec la mise en place de trente-sept centres de santé spécialisés.
Le spécialiste souligne le cas des plus de 60 ans, qui présentent les taux d’obésité les plus élevés (20,8 % pour les hommes et 18,8 % pour les femmes), alors que ces taux sont les plus bas pour les 30-39 ans (10,4 % pour les hommes et 11,4 % pour les femmes). Les seniors représentent ainsi un enjeu médical particulier, dans la mesure où « ils cumulent les problèmes liés au surpoids et les risques liés au vieillissement ».
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Niveau socio-économique
Sur la balance, les Français ne sont toutefois pas égaux, tant s’en faut. Les résultats mettent une nouvelle fois en évidence que le taux d’obésité est inversement proportionnel au niveau socio-économique. On dénombre ainsi un peu plus de 30 % d’obèses parmi les femmes ayant un revenu mensuel inférieur à 450 euros, alors que le pourcentage chute à 7 % parmi celles qui disposent d’au moins 4 200 euros. Cet écart se retrouve chez les hommes, bien que de façon moins spectaculaire, avec une fourchette de 23 % à 9 % d’obèses en fonction des ressources financières.
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Les causes en sont bien connues. Il s’agit, d’abord, de la difficulté d’accès des plus pauvres à une alimentation saine et diversifiée – donc généralement plus coûteuse –, ainsi qu’à des équipements sportifs favorisant l’activité physique. Ces deux paramètres sont à la source de la prise de poids, même si d’autres facteurs entrent en ligne de compte, comme le stress, l’exposition à des polluants ou une prédisposition génétique. « Les populations les moins favorisées sont également moins touchées par les messages de prévention, ajoute le professeur Czernichow, ou elles y sont moins réceptives, comme on le constate aussi pour les campagnes sur le tabac, l’alcool ou les comportements sexuels à risque. »
Ce n’est pas tout. La carte de France des rondeurs adipeuses révèle aussi de grandes disparités géographiques. Elle n’est pas complète, la cohorte étudiée ne couvrant pour l’instant que seize départements. De surcroît, elle ne prend pas en compte les agriculteurs, les artisans et les professions libérales, qui ne relèvent pas du régime général de l’assurance-maladie. Le contraste n’en est pas moins flagrant entre le Nord, où le taux d’obèses culmine à 25,6 %, et les grandes villes comme Paris, Lyon ou Bordeaux, où il tombe à respectivement 10,7 %, 12,3 % et 13 %. Il faut y voir, là encore, une corrélation directe avec le niveau de développement économique et de richesse de chaque territoire.
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Le suivi de la cohorte de volontaires au cours des prochaines années fournira, espère le docteur Czernichow, « de nouvelles données sur l’association entre l’obésité et certaines pathologies au cours du temps ». Dans l’immédiat, ces premiers résultats confirment que la France n’échappe pas à un fléau sanitaire qui frappe aujourd’hui la quasi-totalité de la planète, avec, selon l’Organisation mondiale de la santé, plus d’un tiers des adultes atteints de surpoids ou d’obésité. En Europe, l’Hexagone se classe dans la moyenne d’un classement dont les Irlandais et les Maltais occupaient en 2010 la première place (76 % d’hommes en surcharge pondérale) et les Suissesses la dernière (33 %).