• Six ans de salaire, c’est ce que l’office européen de lutte antifraude (OLAF) réclamerait à Marine Le Pen, selon Marianne et Mediapart. La présidente du FN serait sous la menace d’une procédure de recouvrement, pour avoir rémunéré, sur ses crédits de députée européenne, deux assistants parlementaires qui, selon l’OLAF, travaillaient en réalité pour le parti. Deux cas sont cités, dont essentiellement celui de Catherine Griset, à la fois assistante de l’eurodéputée Marine Le Pen et responsable de son cabinet au FN.
  • Si le parti de Mme Le Pen crie à la « manoeuvre », l’affaire n’est pas nouvelle, et loin d’être terminée : début 2015, l’OLAF avait pointé une vingtaine de cas de collaborateurs d’élus FN (donc rémunérés par le parlement européen) accusés de ne pas travailler pour le mandat européen de leur eurodéputé, mais pour le parti.
  • Nous republions ci-dessous notre enquête de mars 2015, qui avait montré que si la pratique du cumul de fonction chez les eurodéputés était répandue au-delà du FN, celui-ci détenait tout de même la palme du mélange des genres.

Les eurodéputés Front national (FN) et leurs assistants sont dans le viseur de Martin Schulz. Comme le révélait Le Monde le 10 mars, le président social-démocrate du Parlement européen a saisi les instances anti-fraude de l'Union européenne (UE) des cas d'une vingtaine de collaborateurs. Ils sont soupçonnés d'être rémunérés par l'Europe tout en faisant autre chose que travailler pour le mandat européen de leur député. Le préjudice pourrait atteindre 7,5 millions d'euros.

Ce type de pratique n'est pas nouveau. En 2011, le Parlement avait traîné des pieds avant de rendre public un rapport dénonçant ce type d'abus. Certains partis et députés profitaient de la manne offerte par le Parlement pour rémunérer des salariés employés à faire autre chose. Depuis, l'assemblée strasbourgeoise a tenté de mieux réguler le rôle et le statut des assistants.

Néanmoins, comme nous l'avons découvert en passant au crible les 234 assistants des 74 eurodéputés français, les pratiques douteuses subsistent, et pas seulement au FN.

Comment nous avons travaillé 
Nous avons récupéré sur le site du Parlement européen la liste des assistants déclarés par chaque eurodéputé français, qu'ils soient « locaux » ou accrédités au Parlement. Puis nous avons recherché, nom par nom, s'ils exerçaient d'autres fonctions, en nous concentrant sur deux activités : les responsabilités qu'ils pouvaient avoir au sein du parti de leur eurodéputé et l'exercice éventuel d'autres mandats électifs.

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1. Des assistants aux rôles et statuts différents selon les partis

Quel budget pour les assistants ? Chaque eurodéputé dispose d'une somme mensuelle de 21 500 euros pour rémunérer des assistants. Il est libre d'en embaucher le nombre qu'il veut, dans certaines limites. Certains n'en ont que trois, d'autres cinq. La moyenne pour les eurodéputés français est plutôt de quatre.

De même, ils peuvent avoir deux statuts : accrédités au Parlement ou locaux. Là encore, une certaine disparité règne : certains eurodéputés n'ont aucun assistant local, d'autres à l'inverse en ont plus en local qu'au Parlement.

Nombre et statut des assistants parlementaires
Par formation politique française

C'est une première différence entre les partis : chez les eurodéputés français écologistes, on compte en moyenne 3 assistants accrédités pour un local quand au Front de gauche ou au FN, ils se répartissent à égalité entre les deux échelles.

2. Assistant parlementaire et… élu régional : les cumuls du FN

17/63 En faisant le compte des mandats électifs exercés par des assistants parlementaires d'eurodéputés, un parti se détache nettement des autres : le Front national. Sur 63 assistants, pas moins de 17 sont élus locaux ! Si l'on compare avec l'UMP, qui compte 65 assistants, seuls six ont un mandat local. De même pour le PS (43 assistants, 3 mandats locaux).

Assistants parlementaires ayant un mandat électif ou une fonction dans le parti
Nombre d'assistants par formation politique

Surtout, concernant le FN, on trouve des cas qui posent question : outre des conseillers municipaux élus de petites communes, on compte également quatre conseillers régionaux (Frédéric Boccaletti élu en PACA, France Jamet en Languedoc-Roussillon, Eric Vilain en Lorraine et Bruno Bilde dans le Nord-Pas-de-Calais).

Or, si l'on peut concevoir aisément qu'un mandat de conseiller d'un village soit compatible avec des fonctions d'assistant parlementaire, c'est moins vrai pour un conseiller régional, qui constitue un travail à part entière, rémunéré entre 1 500 et 2 600 euros brut par mois.

Le Front national n'est cependant pas le seul dans ce cas : François Delapierre, assistant de Jean-Luc Mélenchon, était également conseiller régional en Ile-de-France en mars 2015 (il est décédé depuis cette enquête, le 20 juin 2015).

Autre cas répandu : le cumul des activités d'assistant parlementaire et de conseiller municipal de grandes villes. Là encore, le FN se distingue, avec des élus à Perpignan (Alexandre Bolo, assistant de Louis Aliot, dont le mandat n'es pas rémunéré), à Suresnes (Laurent Salles), Rambouillet (Philippe Chevrier), Givors, Toulon…

Mais là encore, il n'est pas seul dans ce cas. Le Front de gauche et, dans une moindre mesure, le PS ou l'UMP comptent plusieurs cas de cumul d'un mandat municipal d'une ville de taille importante et d'une fonction d'assistant parlementaire.

3. Des assistants qui travaillent pour le parti

Outre ces mandats électifs, l'autre sujet qui attise les soupçons de l'Office européen de lutte antifraude (OLAF) est celui des responsabilités exercées par les assistants au sein des partis. L'OLAF s'est étonné que 20 assistants de députés frontistes figurent dans l'organigramme de la direction nationale du FN. Là encore, si le FN n'est pas le seul dont les collaborateurs d'eurodéputés ont des occupations multiples, il se distingue clairement.

Part d'assistants ayant une fonction partisane ou un mandat électoral
Par formation au Parlement européen

24/63 Nous avons compté 24 assistants exerçant par ailleurs des responsabilités partisanes sur les 63 collaborateurs d'élus FN ou RBM.C'est nettement plus que le PS (7 cas sur 43 assistants), le Front de gauche (6 cas sur 24) ou l'UMP (5 cas sur 65).

Parmi les exemples les plus frappants, citons Bruno Bilde (conseiller spécial de Marine Le Pen, membre du bureau politique, de la commission d'investiture et du comité central du parti) ; Catherine Griset, chef de son secrétariat ; Guillaume l'Huillier, directeur de cabinet de Jean-Marie Le Pen ; ou Micheline Bruna, secrétaire personnelle du président d'honneur du parti frontiste.

Si le FN est clairement au-dessus des autres formations par le volume d'assistants ayant des responsabilités dans le parti, il n'est pas le seul. Tous deux assistants de Jean-Luc Mélenchon, Aigline de Vincens de Causans et François Delapierre occupent également des fonctions dans la direction du Parti de gauche. La première comme élu au bureau national, le second comme secrétaire national. Deux de leurs collègues y occupent des fonctions moins stratégiques : Juliette Prados comme attachée de presse et Laurent Maffeïs, l'ex-directeur de cabinet de M. Mélenchon, comme responsable du secteur « études » du parti.

On peut aussi citer le cas d'Isabelle Sicart, chef de cabinet de François Bayrou à la présidence du MoDem et assistante parlementaire de Marielle de Sarnez. Ou encore celui de Lionel Moisy de Cala, conseiller en communication du député UMP Bernard Accoyer et assistant parlementaire de Renaud Muselier.

Au PS, on compte des cas qui posent question aussi, comme Frédéric Faravel, à la fois membre du bureau fédéral du Val-d'Oise, du bureau du comité régional d'Ile-de-France, du bureau national des adhésions et assistant parlementaire au Sénat de Marie-Noëlle Lienemann, tout en étant également collaborateur de l'eurodéputé Emmanuel Maurel.

1/3 Des assistants candidats. Autre comptage qui pose question : pas moins de 19 des assistants parlementaires du Front national sont candidats aux élections départementales, sur un total de 63. Ce chiffre est largement supérieur à celui du PS, par exemple (2 candidats sur 43 assistants) ou de l'UMP (aucun). 

4. Des irrégularités pas forcément illégales

Ces cas posent question. Sont-ils pour autant illégaux ? Ce sera aux instances européennes de trancher. Mais il semble difficile d'estimer la réalité du travail d'un assistant parlementaire, et ce qu'il peut faire ou non sur son temps de travail ou en dehors. A quel moment travaille-t-il pour le parti plutôt que pour le mandat européen de son élu ? Et comment le certifier ?

Longtemps flou, le statut des assistants parlementaires est étroitement réglementé depuis 2008. Le règlement applicable reconnaît deux catégories de collaborateurs parlementaires :

  • Les assistants « accrédités », « en poste » dans l'un des trois lieux de travail du Parlement européen (Strasbourg, Bruxelles, Luxembourg) pour y exercer « des tâches qui sont directement liées aux travaux accomplis par un ou plusieurs députés dans l'exercice de leurs fonctions [...] au Parlement européen ». Leur contrat est directement pris en charge par l'assemblée strasbourgeoise.
  • Les assistants « locaux » qui « assistent » les eurodéputés dans leur Etat membre d'élection. Ils sont directement en contrat avec leur député.

Le code de conduite sur lequel s'est appuyé le Parlement européen pour déclencher son enquête contre les assistants du FN précise que « seuls peuvent être pris en charge les frais correspondant à l'assistance nécessaire et directement liée à l'exercice du mandat parlementaire des députés ». « Ces dépenses ne peuvent en aucun cas couvrir des frais liés à la sphère privée des députés ». Le document stipule plus loin que le Parlement européen ne saurait financer « les contrats conclus avec les groupes ou partis politiques » représentés dans l'Hémicycle : l'argent public européen ne doit donc pas alimenter leurs dépenses courantes des mouvements politiques en tant que tel.

Pour condamner d'éventuels députés fraudeurs, l'OLAF devra donc établir que leurs assistants se consacrent effectivement à d'autres tâches que celles pour lesquelles ils sont rémunérés par les fonds de l'UE.

La question des rémunérations est à cet égard la clé. En décembre, Le Parisien avait interrogé le FN pour savoir si, dans plusieurs cas de cumul, les assistants percevaient une double rémunération. Ce dernier n'avait pas souhaité répondre.